« Je n'ai qu'une leçon à tirer, et nous devons la tirer collectivement : pour que cette situation ne se reproduise pas, nous devons tous remplir nos directives anticipées » a déclaré la ministre de la Santé Agnès Buzyn au sujet de l'« affaire Vincent Lambert ». Du nom de cet infirmier psychiatrique de 42 ans victime d'un accident de la route le 29 septembre 2008.
Face à l'extraordinaire de l'histoire de Vincent Lambert, qui n'en finit plus de durer depuis une première décision d'arrêt des traitements en 2013 immédiatement contestée par les parents, se dégage un consensus au sein des médecins interrogés par le « Quotidien » pour souligner l'importance de rédiger des directives anticipées (DA) et de désigner une personne de confiance, afin de faire entendre et respecter sa parole. Treize pourcents des Français de plus de 50 ans les ont écrites. Un progrès, par rapport aux 2 % d'avant la loi Leonetti-Claeys. Mais « cela reste encore trop marginal et confiné aux EHPAD. Il faut que tous les Français en parlent », estime le Pr Didier Sicard, tout en soulignant la sensibilité du sujet : les DA restent un droit, non une obligation administrative ou juridique.
Une affaire qui a modelé lois et pratiques
Comment connaître les volontés d'une personne qui n'est plus en état de communiquer ? Le législateur n'a pas ignoré cette question, pierre angulaire de l'affaire Vincent Lambert, lors des travaux préalables à la promulgation de la loi Leonetti-Claeys, le 2 février 2016. Celle-ci n'a pourtant pas été pensée comme une réponse à l'affaire Lambert, comme la loi Leonetti de 2005 l'avait été pour l'affaire Vincent Humbert, où une mère - déjà - demandait qu'on cesse la situation d'obstination déraisonnable dans laquelle était son fils. « Notre loi répond à un engagement de François Hollande » lors de sa campagne présidentielle, rappelle Jean Leonetti. Elle s'inscrit plus largement dans un mouvement de reconnaissance des droits des patients, qui se cristallise depuis la loi Kouchner de 2002, embrassant en particulier la lutte contre l'obstination déraisonnable.
Néanmoins, l'histoire rémoise a pu jouer sur deux points précis, reconnaît le1er vice-président du parti LR : le renforcement des DA, dont la rédaction a été facilitée et qui sont devenues opposables (sauf en cas d'urgence vitale et lorsqu'elles apparaissent inappropriées ou non conformes à la situation médicale), et l'inscription dans la loi de la nécessité de recueillir le « témoignage » des proches, et non leur avis, « comme pour le don d'organe », note Jean Leonetti.
Autre référence à l'affaire Vincent Lambert, la loi de 2016 entérine le fait que la nutrition et l'hydratation artificielles sont des traitements et peuvent donc être arrêtées, une précision apportée dans le jugement du Conseil d'État de juin 2014 (quoique présente en filigrane dans la loi de 2005). À la différence des soins, qui courent au-delà de la mort.
Judiciarisation à double tranchant
Le bruit juridicomédiatique ne laisse pas les médecins indifférents. « Il entraîne une obligation pour les professionnels de prendre en compte l'existence d'un droit au recours en cas de décision d'une limitation ou d'un arrêt des traitements, et d'en informer les familles. Cela invite à être plus transparents et irréprochables sur la collégialité, les modalités des délibérations et la traçabilité des arguments », observe Marie-France Mamzer, professeure d'éthique et de médecine légale, en se félicitant du développement des formations pour les soignants.
« Si cela ne change pas directement nos pratiques, cette affaire influe sur notre façon de penser les choses. Comment et jusqu'où donner l'information ?, s'interroge la Pr Sophie Crozier, neurologue et membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Dire tout ce qu'on ne fait pas peut être ressenti comme un abandon par les familles ».
Parallèlement à cet effet vertueux, la judiciarisation des décisions médicales peut nuire à la sérénité des équipes soignantes. « La ténacité de certains peuvent conduire un médecin, une équipe, à être obligé de se renier, à poursuivre des actes qu'il n'estime pas être dans l'intérêt du patient ; l'affaire Lambert crée un précédent : la justice peut donner tort à un médecin, qui a pourtant scrupuleusement suivi une procédure validée par la justice », regrette le Pr Régis Aubry, président de l'ex-Observatoire national de la fin de vie et chef du service des soins palliatifs au CHU de Besançon.
Une histoire singulière, des amalgames délétères
D'autres affaires Lambert sont-elles évitables, notamment en modifiant la loi ? Deux fois non, répondent les médecins sollicités par le « Quotidien », suivant en cela l'avis du CCNE et des sociétés savantes. Des discussions pourraient se (r)ouvrir sur une éventuelle hiérarchisation de la parole des proches, comme en Belgique ou en Suisse ; ou sur la responsabilité qui incombe au médecin de prendre une décision de limitation et d'arrêt des thérapeutiques actives (LATA) à partir d'un faisceau d'arguments dont une partie n'est pas médicale. Mais il y aura toujours des affaires Lambert, portées par des lames de fond touchant à la judiciarisation de notre société, l'évolution de la cellule familiale, les progrès de la médecine, et notre difficulté à parler de la mort.
Des affaires singulières, surtout, qui ne devraient pas être récupérées idéologiquement déplorent-ils. « Cette affaire n'a rien à voir avec un débat sur l'euthanasie ! », s'agace le Pr Sicard.
Vincent Lambert n'est pas non plus le représentant des 1 700 Français cérébrolésés. « La question n'est même pas tant de savoir s'il est dans un état végétatif chronique ou pauci-relationnel. Mais de savoir ce qu'il voulait ! », insiste la Pr Crozier. « Il y aurait une dérive à considérer que pour toute personne en pareille situation, on devrait arrêter les traitements ou au contraire, tout faire pour les maintenir. Non, il s'agit d'une zone grise de la loi où, à l'issue d'une procédure collégiale qui tient compte de l'état médical et du parcours de vie, l'on prend une décision pour un patient singulier », résume le Pr Aubry, appelant à la prudence et la modestie face à ces états de conscience mal connus.
Et pour cerner ses vies singulières, une clef : mieux connaître et s'approprier les lois, tant du côté des soignants (et pas seulement les spécialistes des soins palliatifs), que des patients.
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