« Ce n'est pas une légalisation de l'euthanasie » : alors que les deux propositions de loi sur les soins palliatifs et l’aide à mourir sont examinées en séance publique par les députés à partir de ce 12 mai, la ministre de la Santé Catherine Vautrin a annoncé que le gouvernement complétera le second texte pour assurer un accès strict à ce nouveau droit. Ceci, en s’inspirant des travaux de la Haute Autorité de santé (HAS) concernant la définition de la phase avancée d’une maladie.
« Il y a une forte attente des Français mais elle doit être strictement encadrée. Le chemin est étroit et je recherche un équilibre entre ceux qui voudraient aller beaucoup plus loin et ceux qui estiment que le cadre actuel est suffisant », souligne-t-elle dans une interview au Parisien, publiée ce 11 mai, la veille du coup d’envoi des débats dans l’Hémicycle. « Il ne s’agit pas de milliers de cas, ce sont des situations précises », a précisé celle qui portera le texte. Et qui est moins réticente sur le sujet que son ministre LR chargé de la Santé Yannick Neuder.
La dernière version du texte déposé par le député Olivier Falorni (MoDem) indique que « le droit à l’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, afin qu’elle se l’administre ou se la fasse administrer par un médecin ou par un infirmier ». À cela, cinq critères cumulatifs dont être atteint d'une « affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale », présenter « une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle‑ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement » et être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée.
Redéfinir la phase avancée et faire de l’autoadministration la règle
« Le gouvernement va déposer un amendement pour définir la “phase avancée”, à savoir “l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé qui affecte la qualité de vie" », indique la ministre Catherine Vautrin, en s’appuyant sur l’avis publié par la HAS le 6 mai. Ce dernier conclut à l’impossibilité de définir un pronostic temporel individuel, écartant donc un critère qui reposerait sur un « pronostic vital engagé à moyen terme ». La HAS considère en revanche que la « phase avancée » (ou terminale) dans le cas d’une maladie incurable, ne renvoie pas tant à l’échéance du décès (et donc à une donnée temporelle) qu’à la nature de la prise en charge et donc au parcours du malade.
Comme « le discernement est absolument majeur », Catherine Vautrin va aussi déposer au nom du gouvernement un amendement pour rétablir le délai de réflexion incompressible de 48 heures à compter de l’accord des médecins et renforcer la collégialité de la délibération, voire de la décision, pour chaque demande d’aide à mourir.
Surtout, elle replace l’autoadministration de la substance létale par le malade comme la règle (alors que la commission des affaires sociales avait mis sur un pied d’égalité les deux options) : « La réalisation par un professionnel de santé sera l’exception, même s’il y aura toujours la présence d’un soignant en cas d’auto-administration », explicite-t-elle.
Un gouvernement divisé
Catherine Vautrin, que ses « expériences de vie (...) ont fait évoluer », notamment la maladie de Charcot d’un proche, ne donne « aucune consigne » de vote mais espère « un consensus éclairé autour d’un texte équilibré ». Quant à savoir si cette réforme sociétale sera adoptée avant la fin du quinquennat, elle se veut « extrêmement prudente » mais juge que « cela serait une bonne chose ». Le risque n’est pas négligeable que les débats traînent en longueur entre l’Assemblée et le Sénat d’ici à 2027. Déjà 3 300 amendements ont été déposés sur les deux textes en première lecture…
D’autant que le gouvernement reste très divisé. Catholique et conservateur, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a dénoncé un texte de « rupture anthropologique », « profondément déséquilibré » et qui « fait sauter tous les verrous ». Autre LR du gouvernement, la porte-parole Sophie Primas est sortie de sa traditionnelle réserve ce 12 mai et a fait part de son opposition de fond à l’encontre d’une loi qui serait discriminante envers les plus vulnérables.
Le Premier ministre François Bayrou, catholique pratiquant et héritier de la démocratie chrétienne, n’a jamais masqué ses réserves depuis sa nomination, se déclarant « spontanément du côté du soin et de la défense de la vie ».
À l’inverse, Élisabeth Borne, Gérald Darmanin et Manuel Valls soutiennent le texte. Quant à Emmanuel Macron, il a déclaré dans un discours devant les francs-maçons de la Grande Loge de France que le débat ne pouvait « être réduit à pour ou contre la vie », mais devait poser la question du « moindre mal ».
« Si nul ne souhaite mourir, en revanche, certains peuvent vouloir arrêter de souffrir. Car (…) parfois la souffrance prend le pas sur la vie », arguent de leur côté Line Renaud, qui a 96 ans, et Gabriel Attal, 36 ans, dans les colonnes de La Tribune Dimanche. Pour eux, « s’opposer par conservatisme à toute évolution du droit, c’est faire passer son dogmatisme avant la souffrance des malades. C’est manquer à son devoir d’écoute et d’humanité pour imposer sa morale (…). Nous, nous ne voulons rien imposer. Ce que nous demandons, c'est une nouvelle liberté. La liberté d'en finir avec la souffrance, dans des conditions claires, précises, définies, encadrées par le corps médical ».
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