Ils accompagnent les patients dans leurs demandes de prestations et rendent régulièrement visite aux médecins de famille pour prôner les « bonnes pratiques » et les actions de santé publique. Parfois mal-aimés, les médecins-conseils de l’Assurance maladie, dont le mode de recrutement évolue cette année, sont bien souvent méconnus. Trois d’entre eux ont accepté de se confier au Généraliste. L’occasion de présenter les missions de ces professionnels.
Ils sont près de 2 000 en France à exercer dans les services médicaux de l’Assurance maladie. L’image du médecin gendarme “contrôleur” a tendance à leur coller à la peau. Se trouvant au carrefour entre les patients, les professionnels de santé et l’administration, les médecins-conseils restent parfois mal connus des généralistes. à l’heure où l’Assurance maladie veut recruter 140 nouveaux postes, trois d’entre eux ont accepté de se confier au Généraliste pour mettre fin à certaines idées reçues et défendre leur métier. Leur action s’inscrit, selon eux, davantage dans « l’accompagnement », à la fois des patients dans leurs demandes de prestations mais aussi des professionnels de santé dans leur pratique. « Je ne me rends pas chez un confrère pour juger sa pratique mais pour transmettre des informations », assure le Dr Sonia Woerth, médecin-conseil à Brignoles (Var) depuis trois ans et demi. Cette généraliste de formation a pris ses fonctions après 15 ans d’activité, dont cinq en libéral. « J’ai aussi travaillé dans le privé dans un service de soins de suite et de réadaptation, mais cela ne me correspondait pas. Puis je suis tout simplement tombée sur le témoignage d’un médecin-conseil sur un forum. » Elle passe le concours en 2015 avec succès. Depuis, les modalités de recrutement ont changé (lire plus bas).
En finir avec l’image du “médecin contrôleur”
Comme beaucoup de médecins généralistes, le Dr Woerth avait quelques a priori sur le métier avant d’intégrer le service médical de la CPAM de Toulon. « On a parfois l’image du médecin-conseil uniquement contrôleur administratif. En pratique, ce n’est pas du tout le cas. Le médecin traitant connaît ses patients, je maîtrise les règles médico-administratives. Nous mettons en commun nos connaissances respectives », explique la praticienne. Le Dr Claire Gravet, médecin-conseil au sein de la direction régionale du service médical de Nancy, confie également qu’elle a à cœur de montrer aux praticiens qu’elle « n’est pas là pour punir mais pour accompagner les médecins et aider les assurés à profiter pleinement de leurs droits ». Cette pathologiste de formation a intégré le service médial de Vesoul (Haute-Saône) en 2017 puis a été mutée à la direction régionale Nord-Est il y a tout juste un an. Le travail en équipe, le contact avec les assurés et les perspectives d’évolution professionnelle ont convaincu le Dr Gravet. « Une carrière en tant que médecin-conseil n’est pas figée. On peut évoluer vers différentes activités : prestations, lutte contre les abus et la fraude, travail au sein des unités d’accompagnement spécialisées, etc. », défend la praticienne de 31 ans.
Si cette dernière a intégré les services de l’Assurance maladie directement après son internat, l’expérience du libéral peut être un atout de taille pour les praticiens-conseils. « J’ai été à leur place, je sais comment ça se passe quand on est en face du patient », témoigne le Dr Sonia Woerth. « On peut s’appuyer sur nos connaissances, éviter les mots qui fâchent quand on se retrouve devant un confrère », complète le Dr Dominique Ladier, 58 ans, médecin-conseil orléanais, « passé de l’autre côté » en 2016 comme il aime en plaisanter. Après 28 ans de médecine libérale, cet ex-généraliste a vu ses conditions de travail se dégrader. Il ne se reconnaissait plus dans sa pratique. « Il fallait quatre jours pour obtenir un rendez-vous dans mon cabinet, je n’étais plus médecin de famille au sens où je l’entendais et l’exercice isolé commençait à me peser », confie-t-il. Déjà animateur d’un groupe qualité pour lequel il organise des formations au sein de l’URPS-ML du Centre, il a donc postulé au sein du service médical à Orléans et travaille désormais à 1 km de son ancien cabinet.
Informer sur les “bons usages”
Comme le Dr Woerth, le Dr Ladier intervient auprès des professionnels dans le cadre des politiques de santé et accompagne le médecin traitant dans sa pratique sur des thèmes à fort enjeu de santé publique comme la prévention. Ils travaillent avec les délégués de l’Assurance maladie (Dam). Dans son cabinet, un médecin de famille les recevra alternativement jusqu’à cinq fois par an maximum pour rappeler « les bons usages ». Le Dr Ladier insiste sur l’importance de ces rencontres : « En libéral, dans ma façon de prescrire et de consulter, j’avais le nez dans mes habitudes. Le Dam ou le médecin-conseil m’ouvraient les yeux sur certaines recommandations et m’apportaient un regard contradictoire, par exemple sur les discours des visiteurs médicaux. »
« Quand le généraliste est dans son cabinet, il n’a pas forcément le temps de s’informer régulièrement, même s’il fait de la FMC. Notre rôle est de lui donner des informations actuelles sur la politique de santé », ajoute le Dr Sonia Woerth. Ces visites ou « entretiens confraternels » s’inscrivent dans le cadre de ce que l’Assurance maladie appelle un plan personnalisé d’accompagnement (PPA). « Sur six mois, on propose d’accompagner le médecin sur différents thèmes. En ce moment, l’antibiothérapie, la vaccination, les infections respiratoires ou encore les prescriptions d’imagerie dans le cadre des lombalgies », explique le Dr Ladier.
Gérer les tensions
Les arrêts de travail sont aussi un sujet récurrent de discussion entre les généralistes et les praticiens-conseils. Des statistiques anormales, désignées comme « atypiques » dans le jargon de la Cnam, valent parfois aux médecins de famille la visite de l’Assurance maladie. Début février, le Dr Isabelle de Ricaud, généraliste à Arcachon, racontait son expérience « angoissante » d’une visite confraternelle au sujet de ses prescriptions d’arrêts de travail. Malgré un médecin-conseil « sympathique et à l’écoute », la généraliste a trouvé ce passage « déstabilisant » et l’a relayé sur Twitter. Elle racontait toutes les difficultés de prescription des IJ auxquelles elle fait face en tant que médecin de famille : « les spécialistes qui disent avoir des quotas et ne prolongent pas leurs patients opérés, les médecins du travail qui disent aux patients de se faire prolonger autant que possible ».
Dans un contexte démographique tendu, la visite du médecin-conseil peut en effet susciter l’incompréhension et quelques tensions. Le Dr Dominique Ladier souligne l’importance du dialogue et de l’échange, notamment face aux chiffres. « Une fois, un médecin avait un nombre anormal d’IJ. Mais les statistiques n’avaient pas pris en compte son changement de cabinet. Il y a souvent des explications », raconte-t-il.
Expertiser les demandes de prestations
Outre les visites confraternelles auprès des généralistes, une part importante du travail du médecin-conseil est axée autour des demandes de prestations réalisées par les assurés sociaux. Les caisses primaires sollicitent alors leur expertise médicale. Cela peut être à propos d’un accident de travail, une demande de mise en invalidité ou d’Affection longue durée (ALD)… En passant de médecin libéral à praticien-conseil, le médecin continue ainsi à voir des malades, à la seule différence que ceux-ci sont désormais appelés « assurés ». « J’étais agréablement surpris de voir encore beaucoup de patients », témoigne le Dr Ladier.
Les médecins-conseils tiennent aussi beaucoup à leur indépendance. Ils ne dépendent pas directement de l’organisme payeur, la CPAM, mais de l’Assurance maladie au niveau national. « Nous sommes médecins avant tout et notre rôle est de déterminer si la personne rentre dans les conditions pour obtenir une prestation », explique le Dr Woerth. Le travail en équipe est ainsi le pilier de leur activité. Le médecin-conseil est en contact avec le médecin traitant, mais aussi la médecine du travail, les assistantes sociales, le personnel administratif, etc. « Je prends mes décisions en toute autonomie et j’en ai la responsabilité, mais on peut être appelé parfois à en discuter en équipe. C’est l’un des aspects positifs de la pratique », poursuit la praticienne du Var.
Plus de trois ans après avoir pris ses fonctions, l’ex-généraliste varoise ne regrette absolument pas son choix. « L’Assurance maladie fait bouger les choses et innove énormément. C’est ce qui me motive ». Le Dr Dominique Ladier apprécie également en apprendre chaque jour un peu plus sur le système de santé français. « Lorsque j’étais généraliste prescripteur, je savais remplir les demandes d’ALD, d’invalidité, etc., mais sans connaître les tenants et les aboutissants de ces prestations. Les informations que je délivre aujourd’hui en tant que médecin-conseil m’auraient probablement beaucoup servi en tant que médecin de famille », conclut-il.
141 offres de postes ouvertes jusqu’au 22 février
Le service médical de l’Assurance maladie a publié il y a quelques semaines 141 offres de postes de médecins-conseils pour le régime général et neuf pour intégrer les agences régionales de santé. Les candidatures prennent fin le 22 février. Face aux difficultés d’embauche, notamment liées à la baisse de la démographie, le mode de recrutement a changé cette année. Exit le concours d’entrée, trop contraignant. L’embauche se fait désormais par entretien national devant un jury d’acteurs du service médical de la Cnam. Trois vagues d’entretien auront lieu en janvier, mai et octobre chaque année au lieu d’une seule auparavant. Les candidats bénéficient également d’une plus grande visibilité sur les postes puisqu’ils postulent à une offre précise.
Les généralistes intéressés peuvent consulter les offres sur assurance-maladie.ameli.fr ou contacter Yaël Guidalia au 01 72 60 29 53. Les candidatures (CV, lettre de motivation, copie du diplôme de docteur en médecine, extrait de casier judiciaire) doivent être adressées par mail à l’adresse : recrutementpc.cnam@assurance-maladie.fr