Par John-Henry
Certains philosophes humains qui réfléchissent aux effets de ces distractions sur leurs congénères avaient conclu que « la télévision pouvait manipuler les masses ». Mais il semblait cette fois que la télévision avait été prise à son propre piège et qu’elle avait construit le mythe d’un nouveau héros, un anti-héros : « Un presque handicapé qui refuse de s’apitoyer sur lui-même, qui refuse le diktat de la production qui voyait en lui un nouveau terrain de jeu pour les annonceurs, qui va jusqu’à mettre sa santé en danger pour défendre un idéal », c’est ce qu’avait affirmé un penseur contemporain dans l’ivresse d’une autre émission de télévision. « Et ce qui est encore plus incroyable dans le cas de ce jeune garçon, c’est qu’il se débat sans arme. La production a toutes les cartes en main : ce sont eux qui, d’ordinaire, manipulent le téléspectateur. Ils ont voulu faire passer ce garçon pour un handicapé irresponsable, pour le ramener à la raison, pour qu’il reprenne son régime spécial et qu’il puisse enfin attirer de nouveaux diffuseurs mais c’est tout le contraire qui s’est produit. » Sergio était adoubé par le public. Adoubé par l’intelligentsia. Sergio devenait une icône de la résistance moderne, manipulant la télévision selon ses propres codes.
Thierry a alors décidé de faire voter les humains face à leurs téléviseurs, Sergio devait-il être exclu après avoir triché ? Et quand le résultat s’est affiché à l’écran, c’est la liesse qui s’est emparée des familles réunies dans les salons. Sergio était un anti-héros, les seuls vrais héros qui naissent et meurent dans les télévisions, les héros qui ne cherchent jamais à le devenir.
Thierry était dépassé par la popularité de son candidat, une popularité inexploitable, alors il a décidé de s’en débarrasser, simplement, facilement, c’était une émission de distraction, son émission, il y régnait sans s’excuser, sans poser de questions, sans se laisser émouvoir. Une voix a annoncé à Sergio qu’il avait enfreint les règles, qu’il avait trahi son secret et qu’il devait désormais partir.
Le soir-même, des familles se révoltaient devant la disqualification de Sergio, ils éructaient contre cette dictature. Et Sergio est parti comme il avait vécu dans le téléviseur, sur cette ultime phrase diffusée à 18 h 48, à la fin de l’émission « C’était très dur de manger normalement, j’avais l’impression de devenir quelqu’un d’autre, mes idées n’étaient plus claires, je ne me sentais pas bien. Je m’empoisonnais. Et puis le poisson et la viande, quand tu manges ça pour la première fois de ta vie à 28 ans, c’est horrible, c’est un goût infect. Je devais tout faire pour ne pas vomir, pour que ça ait l’air naturel. »
Et la télévision a cet effet étrange sur les hommes. Si bien qu’en sortant de la maison cloisonnée, un homme attendait Sergio sur le parking au bas de l’immeuble, avec une carabine.
« Salaud… Tu me dégoûtes ! Tu te crois beau ? Tu te crois malin à faire ta star dans la télévision parce que t’as une maladie rare ! ? Tu fais ta star mais tu te crois malin ? ! Hein ? ! Ma gamine, on ne l’a pas détectée à la naissance, on n’a pas vu qu’elle avait cette maladie de merde. Aujourd’hui elle a 23 ans et elle parle comme un poisson. C’est toi qui devrais parler comme un poisson, à faire le mariole à la télé. Ma gamine elle va bientôt mourir alors que des abrutis dans ton genre survivent, ça me rend fou, c’est toi qui devrais crever bientôt, t’as pas le droit de te foutre de sa gueule comme ça ! Elle est handicapée, HAN – DI - CAPÉE. T’as pas le droit de bouffer du poisson, de la viande, t’as pas le droit, c’est pas un jeu ta maladie, tu saisis, c’est pas un jeu pour ma gamine ! T’entends, espèce de connard, c’est PAS UN JEU ! »
Il s’est reculé et il a armé.
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