- Mais enfin docteur, permettez que je m’interroge. Comment est-ce que cela a pu arriver ?
Et voilà ! On en revenait toujours à ça ! Il fallait expliquer l’origine du monde, remonter au big bang. Si j’avais perçu le moindre sens de l’humour chez elle, je lui aurais bien cité Molière : Ossabandus, nequeys, nequer, potarinum, quipsa milus. Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette. Mais elle était peu réceptive et moi pas si sûr de ma citation latine.
- Oh je dirais une part de hasard, une part d’hérédité, une part de contingence extérieure.
Elle s’est mise à me fixer, avec dans les yeux une expression atterrée.
- Vous savez docteur, il y a quelque chose que je ne parviens toujours pas à comprendre…
- Mais chère mademoiselle, tout ne s’explique pas.
- Oui enfin, vous savez bien. Rien n’arrive tout à fait par hasard.
- C’est ce que je m’efforce de vous dire. Nous considérons qu’il y a plutôt un faisceau de causes.
- Je sais bien que vous ne lisez pas dans le marc de café docteur mais vous diriez que nous avons combien de chances de parvenir à une guérison totale avant Noël ?
Là je décidai d’en finir, quitte à m’avancer au-delà du raisonnable.
- 100% ! Je suis formel.
La perspective d’une guérison totale ne pouvait qu’optimiser l’efficacité du traitement et accélérer son départ.
Ce jour là je n’ai pas déjeuné. Mademoiselle O’Brien est restée encore près de trente minutes dans mon bureau. J’ai signalé à ma secrétaire que pour cette patiente c’était double astérisque, et plus jamais de rendez-vous en fin de matinée.
J’ai une vie de famille, voyez-vous, et une femme qui trouve que je ne m’investis pas assez. Du coup, le week-end dernier, je me suis proposé pour me rendre à sa place à la réunion parents-profs au lycée.
Ce soir, après tous mes rendez-vous au cabinet, j’aurai une succession d’autres rendez-vous : anglais, maths, français. Je ne connais aucun professeur. J’ai, comme on l’aura compris, ma propre vision du corps enseignant, qui ne porte nulle part mieux son nom que dans mon cabinet.
Je rejoins ma fille à l’heure dite devant sa salle de classe et elle a l’air plutôt contente de me voir pénétrer dans son univers. Le premier rendez-vous est prévu avec sa prof d’anglais. Les entretiens ne doivent pas durer plus de dix minutes par élève, nous en avons été informés par écrit. Notre tour vient, je suis ma fille et me retrouve bientôt face à cette chère mademoiselle O’Brien.
J’ai du mal à masquer ma surprise. Alice a dû mentionner son nom plusieurs fois, mais je cloisonne mes vies de façon hermétique. Mademoiselle O’Brien, elle, n’est pas étonnée. Nous nous saluons courtoisement. Je ne peux pas m’empêcher de penser, non sans mesquinerie, que l’heure de ma revanche a enfin sonné.
Ma fille est une très bonne élève en anglais. Le rendez-vous aurait été une formalité si je n’avais pas été pris d’une malicieuse envie de faire durer un peu le plaisir. Dans le couloir la file d’attente des parents s’allonge et le brouhaha s’amplifie. Nous commençons par le passage en revue des notes. Objectivement, rien à dire. Mademoiselle O’Brien m’annonce sans sourciller : « Les analyses sont parfaites : Taux de sucre impeccable. Vitesse de sédimentation idéale. Aucune trace de cholestérol. » Je me ressaisis et lui demande de répéter moins vite, j’étais distrait.
- Alice travaille très bien. Elle est sérieuse et participe avec régularité. Ses notes sont en progrès constant. »
- Ce que j’ai un peu de mal à comprendre mademoiselle, c’est qu’avec tout le bien que vous m’en dites, Alice n’obtienne que quinze de moyenne.
Ma machine de guerre est en marche. Je jubile.
Prochain épisode dans notre édition du 3 avril
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