Josette baissa la tête pour cacher son ecchymose.
— C’était de ma faute, Docteur. J’ai cassé une tasse de madame. Je suis si maladroite.
— Je vois. Bon, n’oublie pas de mettre de la glace. Et passe me voir pour… le bébé.
Nous laissâmes la malheureuse Josette et je demandai à voir l’homme à tout faire. Le maire rechigna un peu.
— Il faut que je regarde ce bras. Il pourrait s’agir d’une fracture.
Il finit par me conduire à la modeste cabane où logeait le dénommé Gaston. Une fillette nous ouvrit la porte. Elle était mignonne, excepté pour la profonde cicatrice qui lui défigurait le bas du visage.
— Papa n’est pas là, zozota-t-elle. Il a dit qu’il allait s’occuper des chiens. Je vous montre ?
Nous la suivîmes jusqu’au chenil. Gaston sortit à notre approche. Il portait un tablier maculé de sang et tenait un couperet de boucher à la main.
— M’excusez, j’étais en train de préparer la viande. Toi, file à la maison.
La petite déguerpit en sautillant. Il me sembla entendre un gémissement venant du chenil, mais je ne pouvais voir à l’intérieur, car l’homme nous barrait le passage. Je lui proposai d’examiner son bras.
— Ça ira, Docteur. C’est rien.
J’insistai et il finit par me laisser le manipuler. Effectivement, rien de cassé, une simple luxation de l’épaule. Je lui conseillai de garder le bras en écharpe, le temps que les ligaments cicatrisent.
— Et n’hésite pas à passer me voir si les douleurs persistent. Quant à Josette, tu vas devoir faire attention à elle.
L’homme me foudroya du regard.
— Allons, cette petite en pince pour toi. Tu es bien le père du bébé, non ?
Il secoua la tête.
— C’est pas comme ça qu’on fait les choses chez nous. Josette, c’est une fille honnête. Vous pouvez pas comprendre, vous venez de la ville.
Effectivement, j’avais le plus grand mal à comprendre, mais je commençais à me faire une idée. Il s’éloigna, les épaules voûtées. Dans le chenil, les gémissements s’étaient tus.
Sur le chemin du retour, j’entrepris de questionner le maire sur ce que j’avais observé. À commencer par les cicatrices de la petite.
— Bah ! La rumeur dit que ce sont les chiens de la baronne qui ont fait ça. Mais on n’a jamais pu le prouver, alors…
— Et la grossesse de Josette, il y a une rumeur là-dessus ? Une jolie fille comme ça, le père doit en être fier.
Le maire secoua la tête.
— Pas quelqu’un du village. On l’aime bien notre Josette. Si vous voulez mon avis…
— J’écoute.
— La baronne recevait des amis de la ville parfois. Ils n’ont pas les mêmes manières.
Nous étions arrivés sur la place du village. C’était dimanche, tous les villageois étaient rassemblés devant la petite église dont le clocher se dressait fièrement dans le ciel sans nuages. Les chasseurs étaient là, fidèles au poste, tels des phagocytes prêts à fondre sur le moindre corps étranger. J’eus la nette impression que tous regardaient dans ma direction, comme s’ils attendaient quelque chose. Je me tournai vers le maire.
— Une dernière question, avant de signer ce certificat de décès. L’ancien propriétaire de ma maison. De quoi est-il mort ?
— Oh ! Lui. Un malheureux accident. Un policier à la retraite, un peu comme vous. Il est tombé dans le puits, une nuit. C’est pour ça qu’on l’a couvert. Un accident est si vite arrivé…
Effectivement, ces gens-là n’avaient pas besoin d’aide pour gérer leurs affaires. Ils avaient développé leur propre système immunitaire pour protéger le village et ses habitants. Et si je désirais profiter longuement de ma retraite, je savais ce qu’il me restait à faire.
Prochaine histoire courte dans notre édition du 3 septembre
Patrick Ferrer est un auteur de polar et romans noirs et de nouvelles fantastiques, policières ou de science-fiction. Son premier roman, Le baiser de Pandore, est paru aux éditions Incartades en 2017.
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