Marie suivit. Bien sûr qu’elle suivit. Après tout, si elle l’aimait depuis si longtemps, n’était-ce pas pour son altruisme et sa grandeur d’âme ? Allait-elle pouvoir se passer d’un époux dont elle était si fière ?
C’est l’entourage qui mit plus de temps à comprendre. Quelle idée de partir se compliquer l’existence dans la brousse, alors qu’une vie confortable les attendait ici ! Marie qui, quelques jours plus tôt, se plaignait encore de ses conditions de travail dans l’Éducation nationale, allait-elle vraiment enseigner la lecture à des gamins pieds nus, assis dans le sable, se partageant un cahier pour cinq ?
– C’est vrai, admit-elle, un peu abrutie par ce qu’elle venait de réaliser. Et Julien, qui était si heureux de pouvoir s’installer, qui parlait de maison à la campagne, de famille à fonder…
Julien avait tout oublié de ses rêves d’antan. Avoir le courage de faire les choses, de ne plus faire comme tout le monde. S’affranchir. Il faut être libre pour être un médecin sans frontière.
Le Bénin les accueillit à bras ouverts, dans un de ses petits villages isolés et vulnérables. L’heureuse surprise fut pour Marie, à qui l’on céda une classe dans une école en dur, avec un tableau et du matériel à utiliser avec parcimonie. La joie et la soif d’apprendre de ses jeunes élèves pallieraient le reste.
Pour Julien, la surprise fut plus rude, et le centre médical qui attendait ses services entassait des dizaines de patients dans des salles munies de matériel rudimentaire. Julien trouvait qu’il y avait quelque chose de surréaliste à soigner des maladies si redoutables dans des hôpitaux de folklore où l’on s’attendait à voir à tout moment tomber les murs de cartons-pâtes. C’en était presque cynique. Néanmoins le personnel était remarquable, c’est-à-dire qu’il faisait de son mieux avec ce qu’il avait, et compensait les manques matériels par un apport profondément humain. Il fut facile de s’intégrer à l’équipe, tout le monde étant animé de la même urgence et des mêmes idéaux.
Il faisait chaud, et l’harmattan recouvrait le village de sa poussière ocre. Il était tard, et la journée n’était pas finie. Les journées n’étaient jamais finies. On prenait des pauses, à tour de rôle, va te reposer, j’ai dormi la nuit dernière, cette fois c’est à ton tour.
Mazidath était une infirmière dévouée, adulée par les enfants. Elle venait de passer du temps au chevet d’une petite fille dont la polio laissait présager, au mieux, de lourdes séquelles.
– Dis-moi Julien, est-ce que c’est vrai qu’en France les gens refusent les vaccins ?
Julien ne sut pas répondre, il ne pouvait pas expliquer, alors il préférait se taire.
La pluie achevait de nettoyer la poussière des rues quand il rentra chez lui.
Marie l’attendait, allongée sur un sofa. Elle n’osait plus se soigner depuis qu’elle était là, et comptait sur le repos pour compenser le paracétamol qu’elle sacrifiait à d’autres. Être femme de médecin, et ne pouvoir soigner ses migraines ! C’est que femme de médecin, ici, n’était pas un privilège, mais un état d’esprit. Il fallait être cohérent ; on n’enlève pas le médicament de la bouche du malade.
– Comment vas-tu ma chérie ? Tu as l’air épuisé.
– Eh bien figure-toi que le petit Ismaël commence à lire ! Cela n’aura pas été sans peine ! Tu sais que sa sœur a la polio ?
– Zohra ? C’est sa sœur ?
– Où en sont les vaccins ? Tu as des nouvelles ?
– Des gens de la Croix Rouge viennent demain, s’ils n’ont pas eu de souci au Nigéria. Mais je crains que pour Zohra, il ne soit trop tard.
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#1 Des débuts prometteurs
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