Il resta quelques secondes debout.
Personne ne vint.
Il inspecta la pièce. Murs nus… Aucune affiche sur les risques cardio-vasculaires encourus par les seniors. Les sièges étaient violets. Il les compta. Treize. Il n’était pas superstitieux mais quand même, en rajouter un quatorzième ne devait pas coûter grand-chose.
Il remarqua une poubelle. Se pencha au-dessus. Il aurait été soulagé d’y trouver un mouchoir plein de germes, une pelure de fruits, n’importe quel détritus qui montrât la présence d’un autre être humain avant lui. Rien dans la poubelle. Aucune table basse non plus, aucun journal. Bizarre, songea-t-il à nouveau.
Au mur, une horloge indiquait neuf heures et demie. Elle devait retarder. Il était sûr d’être arrivé à neuf heures et demie.
Il se rassit.
Si on lui avait laissé son portable au moins… Là, que faire ?
Il pensa que dans huit jours c’était son anniversaire. Est-ce qu’on organise une fête, pour tes quarante ans ? avait demandé Julia. Quarante ans ! Déjà la moitié de la vie et il avait l’impression de n’avoir rien vécu !
C’était faux, bien sûr. De grands moments avaient jalonné son existence. Son mariage avec Julia. Le voyage de noce aux États-Unis. La naissance de Mathilde, puis celle de Paul. Il se souvenait de quelques soirées avec les copains, avant. Il y avait eu de l’alcool, des filles, des discussions pour refaire le monde. Mais le sourire des filles, le goût du whisky pur sur sa langue, le sens des mots échangés, tout ça il l’avait perdu.
Il tira sur le col de son pull. Quelqu’un avait monté le chauffage trop fort. On étouffait. Merde, qu’est-ce que c’était long ! Si seulement il avait gardé le bout de ficelle. On peut faire des tas de jeux amusants avec un bout de ficelle.
Il n’était pas tranquille. Il ne savait pas bien pourquoi il était là. Il avait compris qu’il devait passer une sorte de visite médicale dont le nouveau gouvernement aurait radicalisé la procédure. Le courrier qu’il avait reçu laissait entendre que tout le monde serait convoqué. Au boulot, un type y était allé la semaine dernière. Mais depuis, il n’était pas revenu.
Olivier avait eu du mal à trouver l’endroit. C’était dans une partie de la ville en construction. Le cabinet médical – si ça en était un – était situé au rez-de-chaussée d’un immeuble qui avait l’air d’abriter des bureaux. Aucune plaque dehors, aucune enseigne. Il s’était repéré avec l’adresse et le numéro de rue indiqué dans le courrier. Il l’avait dit à la fille, à l’accueil. Elle avait souri.
— Vous comprenez, nous sommes encore en train de nous installer.
— Est-ce que c’est un genre de visite médicale ? il avait demandé.
Elle avait encore souri. Le même sourire agaçant. Yeux froids et vides.
— Ne vous inquiétez pas, monsieur Bergeret. Ce ne sera pas trop désagréable. Seulement quelques examens de routine.
Que pouvaient être des examens de routine ? Prendre sa tension, son pouls. Sans doute allait-on le peser. Il avait grossi. Oh, pas beaucoup, mais quand il enlevait son pantalon le soir, les dessins des boutons étaient incrustés dans sa peau, comme des tatouages bizarres. Quarante ans… Il lui restait du temps, encore.
On n’allait pas lui faire des examens élaborés quand même ? Une radio ? Un scanner ? Ça pourrait expliquer qu’on lui ait retiré ses affaires.
Que disait la convocation déjà ? Nous vous prions de vous rendre le 12 octobre… Il ne savait plus. En haut, à gauche, se trouvait le logogramme du ministère de la santé publique, n’est-ce pas ? Il avait un doute.
Prochain épisode dans notre édition du 24 janvier
Passionnée par la littérature depuis toujours, Romane González l’enseigne aux lycéens tout en rédigeant une thèse sur le roman noir, son genre de prédilection. Élevée dans une famille de médecin et d’infirmières, elle met souvent en scène dans ses nouvelles des personnages de docteur… ou leurs patients.

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# 4 Le petit boîtier noir
# 2 Un genre de visite médicale
# 3 Docteur P.
# 5 Une salle d’attente où l’on n’attend rien
# 1 La nouvelle procédure
# 6 : « Je peux m’en aller ? »
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