Suivre son cœur

# 1 Un homme extraordinaire

Publié le 08/11/2018

Article réservé aux abonnés

Laureline Maumelat

4 avril 2075

— Tout va bien, docteur Mussard ? Un autre café ?

Je décline l’offre de la dénommée Manon, l’assistante de l’assistant de je ne sais qui. J’ai ingurgité assez de caféine et ma nervosité est palpable.

— Vous passez en second, après la fleuriste. Faites comme aux répétitions et ce sera parfait, m’explique-t-elle.

Je hoche la tête en frottant mes mains moites sur le velours de mon pantalon. Autour de moi, l’ambiance est électrique. Après des dizaines d’années de shows enregistrés, la mode est à nouveau au direct. Pas le droit à l’erreur. Bien ma veine pour ma première apparition télévisée...

Je vois toute l’équipe s’affairer sur le plateau en un ballet rodé ; derniers essais lumière, retouche maquillage pour Carole, l’animatrice, le chauffeur de salle amuse les spectateurs, puis Manon annonce à la cantonade que ça va bientôt commencer. Les écrans informant du thème de l’émission, « À leur âge, ils exercent encore ! », s’allument et s’éteignent.

Bon sang, mais que fais-je ici ? Je ne me sens pas à ma place. Je suis tellement angoissé, comme à chaque fois que je me retrouve au centre de l’attention. C’est Stella la responsable ; quand elle m’a assuré du bien-fondé de cette idée, je n’ai pas pu refuser. Je n’ai jamais su lui dire non, comme à sa mère. Ma douce Esther, qu’aurais-tu pensé de ma présence à la télévision ? Aurais-tu approuvé ?

Oui, mille fois oui. Tu as toujours compris ma passion pour ce métier prenant, sans jamais t’en plaindre. À l’instar de notre fille, tu m’aurais encouragé à mettre en lumière ma profession, ce pour quoi je me lève chaque matin.

Cela me redonne confiance de t’imaginer à mes côtés. J’en oublie presque tous ces regards posés sur moi. Tu avais coutume de dire que j’étais un homme ordinaire qui réalise des choses extraordinaires. Toute modestie gardée, je crois que tu avais vu juste.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis ici. Je veux raconter ce que je fais, pas ce que je suis, même si c’est indissociable.

Je veux dépeindre ce qui me pousse à parcourir les routes au lieu de prendre ma retraite, transmettre mon besoin d’être au plus près des gens et d’avoir une relation privilégiée avec eux, partager ce sentiment profond d’être utile. Ce n’est pas si compliqué, après tout.

L’émission débute. La première invitée, une fleuriste septuagénaire au sourire communicatif, décrit sa vie parmi les fleurs avec un débit de paroles impressionnant. Volubile et amusante, elle enchante son auditoire. Moi le premier. Quand elle termine, j’ai envie de lui acheter des bouquets de roses…

Puis vient mon tour. Après une rapide biographie qui semble fade comparée à l’existence emplie de poésie de celle qui m’a précédé, la présentatrice tourne son visage vers moi :

— Nicolas, à quatre-vingt-six ans, vous sillonnez encore nos campagnes en tant que médecin itinérant. Quel est donc votre secret ?

Excellente question, jeune femme. Qu’est-ce qui pourrait expliquer qu’un octogénaire soit encore assez fringant pour crapahuter là où plus personne ne veut s’installer ? Je pense évidemment à la chance incroyable que j’ai de pratiquer ma passion au quotidien. Et c’est exactement ce que je vais raconter.

En mon for intérieur, néanmoins, j’ai une autre hypothèse quant à ma longévité… Mais je ne suis pas certain que le public me croirait. C’est un secret que je garde depuis près de soixante ans.

Tout a commencé un mardi. Le 9 octobre 2018, pour être exact…

Prochain épisode dans notre édition du 15 novembre

Passionnée de lecture et d’écriture depuis toujours, Laureline Maumelat a commencé, depuis quelques années, à participer à des concours de nouvelles, notamment sur le site Short Édition, avant de se lancer plus récemment dans la rédaction de textes longs. Elle se plaît à jongler avec différents genres, de la romance au contemporain, en passant par la fantasy.