Dr Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi (Ordre national)

« Nous voulons sécuriser les signalements de violence réalisés par les médecins »

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Publié le 12/05/2023
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Engagée pour une plus forte implication des praticiens contre les violences intrafamiliales, la vice-présidente de l'Ordre national des médecins assure que les plaintes contre les confrères ayant réalisé un signalement à la justice sont marginales et veut faire évoluer la loi pour sécuriser la démarche.

LE QUOTIDIEN : Pourquoi l’Ordre s’est-il engagé depuis le Grenelle contre les violences conjugales ?

Dr MARIE-PIERRE GLAVIANO-CECCALDI : Nous nous sommes emparés de ce sujet car il fait partie de nos missions. Le président Patrick Bouet m’avait donné carte blanche, dès le Grenelle en 2019, pour que l’Ordre soit partie prenante des avancées. Nous avons notamment fait évoluer l’article 226-14 du Code pénal qui permet à un médecin de s’affranchir du secret médical et de signaler au procureur de la République des faits de violence sans le consentement de la victime dès lors que celle-ci est en danger immédiat et sous emprise.

Certains redoutent que cette mesure soit contre-productive et altère le lien de confiance entre la victime et le médecin…

C’est un faux débat. La priorité, c’est le repérage des situations à risque. Nous encourageons les médecins au dépistage systématique des violences. Le signalement sans consentement doit être l’ultime recours, quand une victime n’est plus en capacité de prendre sa décision, ou refuse d’aller à l’hôpital pour se mettre en sécurité. C’est la dernière issue quand on a tout essayé et que l’on sait que le pire peut arriver. Il s’agit d’une dérogation permissive, nous n’avons pas souhaité d’obligation de signalement.

69 conseils départementaux ont signé un protocole avec la justice et la police pour accompagner les médecins dans leurs démarches de signalement des violences. Qu’est-ce que cela va apporter aux médecins sur le terrain ?

De nombreux médecins se plaignaient de ne pas connaître la suite donnée à leur signalement. Nous avons demandé, pour que ces protocoles soient inscrits dans le marbre, que les médecins puissent envoyer leur signalement à la justice sur une adresse mail dédiée et qu’ils reçoivent systématiquement un accusé de réception après leur envoi. Et nous avons constitué au sein de chaque conseil départemental une commission Vigilance-Violences-Sécurité. Chaque conseil départemental a été formé pour accompagner le médecin confronté à une situation de violence. Le médecin pourra être mis en relation avec les bons interlocuteurs de la police et de la justice. Nous avons mis en place un accompagnement des signalements pour que les médecins ne se mettent pas en faute.

Mesurez-vous, depuis le Grenelle, une plus forte implication des médecins dans le signalement à la justice des faits de violences intrafamiliales ?

Nous ne disposons d’aucune statistique puisque les signalements sont adressés aux procureurs sans que l’Ordre soit forcément informé. Je me suis rapprochée de la chancellerie pour demander qu’une étude quantitative et qualitative de toutes ces démarches soit menée. Nous avons besoin de connaître la réalité du terrain pour identifier les éventuels axes d’amélioration. J’en ai assez d’entendre que seuls 5 % de médecins signaleraient les violences faites aux mineurs [selon la HAS en 2014, NDLR]. Ce chiffre est tellement ancien qu’on ne sait même plus d’où il sort ! Nous devons savoir, avec tout ce qui est mis en place, si l’on signale mieux et si l’on signale plus.

Deux pédopsychiatres sont poursuivies depuis plusieurs années pour « immixtion dans les affaires familiales » dans le cadre de signalements de violences sur enfant, ce qui a pu dissuader des médecins d’alerter la justice. Beaucoup de médecins sont-ils poursuivis pour les mêmes faits ?

Non, ils sont très peu nombreux. Je ne commenterai pas ces affaires mais il s’agit de situations marginales par rapport aux saisines faites à la chambre disciplinaire. Les signalements de mineurs ou d'informations préoccupantes représentaient 0,8 % des décisions rendues en 2016 par les chambres disciplinaires de première instance. Et cette année-là, sur un peu plus d’un millier de décisions rendues par les chambres disciplinaires, 8 portaient sur des signalements ayant entraîné une poursuite (au final 6 ont donné lieu à une relaxe, deux à un blâme, NDLR). Certains utilisent ces condamnations pour cristalliser le débat et créer la phobie du signalement !

Comment faire, justement, pour que les médecins se sentent en sécurité lorsqu’ils effectuent un signalement à la justice ?

Nous portons l’idée d’un projet législatif qui pourrait lever la crainte des médecins. Aujourd’hui, quand une plainte est déposée après un signalement, et même si celui-ci est fait de bonne foi, le CDOM est obligé de transmettre cette plainte à la chambre disciplinaire. Nous souhaitons sécuriser les médecins. Nous voulons faire en sorte que, dès lors qu’un signalement de violences a été réalisé dans les règles et qu’il a été approuvé par le conseil départemental du médecin, son auteur ne puisse pas être l’objet de poursuites. Cela reviendrait à protéger les médecins libéraux de la même manière que les médecins de service public.

Exergue/Nous encourageons les médecins au dépistage systématique des violences


Source : Le Quotidien du médecin