LE QUOTIDIEN : Vous aviez coécrit un rapport en 2018 sur l'accès aux soins avec des propositions concrètes. Depuis, la situation s'aggrave…
ÉLISABETH DOINEAU : À travers ce rapport, nous avions proposé une boîte à outils. Mais les élus ne s'en sont pas saisis immédiatement. Il ne suffit pas de dire qu'il faut mettre en place des stages libéraux, des délégations de tâches et construire des maisons de santé pour produire des effets dans les territoires ! Il faut aussi les animer en embauchant une équipe d'ingénierie et des chargés de mission qui vont mettre du lien entre tous les acteurs, initier des réunions, les coordonner. Les territoires qui se sont emparés du sujet assez tôt ont moins de difficultés aujourd'hui sur l'accès aux soins. C'est le cas de l'Aveyron. En Mayenne aussi, nous avons ressenti un frémissement. Ici, depuis déjà dix ans, en partenariat avec l'Ordre départemental des médecins, un chargé de mission a été embauché pour mettre en place par exemple une conciergerie pour aider les jeunes médecins à s'installer.
Plusieurs candidats à la présidentielle proposent le conventionnement sélectif en zone surdotée pour réguler l'installation. Soutenez-vous cette mesure ?
Non. Il ne faut pas faire supporter à cette génération de médecins les défaillances des décisions prises à un certain moment, et qui sont la source des difficultés actuelles. Je suis sceptique car gérer la pénurie par une régulation me paraît difficile. Aujourd'hui, on manque partout de médecins, en ville comme à l'hôpital. Donc, si les jeunes ne sont pas convaincus pendant leur stage que la médecine rurale est enrichissante sur le plan de la pratique médicale, ils n'iront pas ! Et ils auront l'embarras du choix dans la médecine scolaire, la médecine du travail. Il vaut donc mieux inciter que contraindre.
Quelles sont les mesures urgentes à mettre en place pour le prochain quinquennat ?
Il faut accélérer le déploiement de la télémédecine, après une véritable évaluation. Mais attention, cette pratique à distance doit être complémentaire des consultations en présentiel et sous conditions. Je ne suis pas favorable aux cabines de télémédecine. Je veux que le patient soit accompagné d’un professionnel de santé comme un infirmier en pratique avancée.
Les efforts doivent ensuite être mis sur les stages durant l'externat. C'est durant ces années d'études qu'il faut inciter les jeunes à aller dans les territoires ruraux. Dès lors qu'ils auront connu une équipe de soins, observé l'organisation pluridisciplinaire, travaillé en lien avec des hôpitaux de proximité, ils reviendront de leur propre volonté. Dans ce cadre, il faut valoriser l'engagement des maîtres de stage et inciter les CHU à envoyer des stagiaires dans les zones rurales.
Enfin, il faut avancer dans les transferts de tâches médicales, en concertation avec les professionnels concernés. À eux de réfléchir sur de nouvelles pratiques dans toutes les spécialités. Il faut que les corporatismes tombent ! Les ophtalmologistes, par exemple, devraient aller encore plus loin dans ce partage des tâches. Une fois que chacun aura réfléchi à cette coopération, il faudra aborder la question de la valorisation de chaque profession. Les médecins comme tous les autres professionnels de santé ne peuvent pas rester à des tarifs aussi ridicules.
Article précédent
Les programmes présidentiels pour se priver de désert
Article suivant
La Mayenne, tête chercheuse contre la pénurie
Les programmes présidentiels pour se priver de désert
Élisabeth Doineau Sénatrice UDI de la Mayenne
La Mayenne, tête chercheuse contre la pénurie
L'Île-de-France, premier désert médical ?
Missions, consultation et diagnostic, prescription : le projet Valletoux sur la profession infirmière inquiète (déjà) les médecins
Désert médical : une commune de l’Orne passe une annonce sur Leboncoin pour trouver un généraliste
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre