Tranches de vie de médecins généralistes

« Pourquoi je m'installe, pourquoi je déplaque ! »

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Publié le 06/02/2020
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Choix de l'exercice libéral grâce au compagnonnage de maîtres de stage, projet collectif pour fédérer les énergies dans un secteur déficitaire mais aussi expériences plus amères... À l'heure où la pénurie de médecins de famille frappe tout le territoire français, des généralistes ont confié leurs états d'âme, lors du colloque de MG France. Édifiant.

Crédit photo : PHANIE

Ce fut un des temps forts du récent colloque MG France sur l'accès aux soins. Après la présentation inquiétante, par la géographe de la santé Joy Raynaud, d'une catastrophe sanitaire chiffres à l'appui (11 000 généralistes de moins en dix ans, une densité en net repli chez les MG libéraux depuis 2005), quatre médecins engagés ont partagé leur vécu, parfois poignant, devant une salle attentive.

Le Dr Maxime Blanchard, 32 ans, s'est installé l'année dernière à Dechy (Nord). Après des études à Tours (2006 à 2014) et un internat à Lille « avec l'intention de faire médecine générale », le jeune médecin raconte qu'après six années de cursus hospitalo-centré il n’a jamais mis les pieds dans un cabinet libéral ! « C'était par hasard que j'ai fait un stage dans un cabinet de médecine générale à Dechy », confie-t-il. Le hasard fait très bien les choses : la bonne entente avec le maître de stage, le fonctionnement satisfaisant du cabinet et son attachement à la population ont poussé le médecin à faire des remplacements sur place une fois sa thèse obtenue. « Puis j'ai voulu m'installer tout de suite en 2019. Je ne l’aurais pas fait aussi rapidement si je n’avais pas le soutien des médecins du cabinet », reconnait-il. Une nouvelle preuve qu'une installation libérale peut s'opérer plus facilement grâce au compagnonnage de confrères dont la pratique séduit...  

Trois généralistes, 25 000 habitants

Le Dr Bijane Oroudji, 47 ans, a décidé de s'installer à Saint-Ouen-l'Aumône (Val-d'Oise), après cinq ans de remplacements à Garges-lès-Gonesse et Aulnay-sous-Bois. « C'est parce que le lien avec les patients commençait à me manquer », justifie-t-il. Mais rien n'est simple. Au début, son secteur comptait 12 médecins généralistes. « Le temps passant avec les départs à la retraite, nous n'étions plus que sept médecins. Et il y a un an, on se retrouve à trois pour 25 000 habitants ! ». Malgré cette pénurie qui pèse sur son exercice, le Dr Oroudji préfère rester pour se battre avec un nouveau projet collectif dans ce territoire fragile. « Avec le soutien des médecins, du syndicat et certains élus, nous allons monter une maison de santé et une CPTS (communauté professionnelle territoriales de santé). Ce sera une bouffée d'oxygène pour faire venir des jeunes », s'enthousiasme ce médecin combatif.

C'est sans doute ce soutien entre confrères qui a manqué au Dr Alexandra Genthon, 44 ans. Pendant 15 ans, la généraliste a exercé à Grenoble. « Ce qui me plaisait, c'était le travail en équipe, en pluripro. J’ai eu alors envie de faire évoluer l’organisation du cabinet vers quelque chose de plus structuré de type maison de santé. Mais ce projet n'a pas recueilli d’engouement réel », regrette-t-elle. Face à cette « vie au cabinet qui n'apportait plus de satisfaction », la généraliste a décidé d'arrêter le libéral pour devenir médecin coordonnateur dans un réseau de santé. « Ce qui me motivait, ce n'était pas le salariat mais une nouvelle activité qui comblait un certain manque d'organisation que je ressentais au niveau du cabinet ». « Au final, résume-t-elle, il valait mieux un médecin en bonne santé qui rendrait service dans une activité de coordination qu’un médecin libéral en difficulté au sein de son activité ».

Initiative intempestive et cauchemar 

Le Dr Frédéric Boyer, 50 ans, n'a pas voulu quitter son cabinet. Exerçant pendant 21 ans à la Motte-Chalancon (Drôme), le généraliste, correspondant SAMU, s'est fortement investi au niveau de la PDS et des urgences. « Nous étions deux médecins pour 2 000 habitants environ. La mauvaise surprise a été de voir arriver un troisième installé dans un cabinet flambant neuf en partie payé par la communauté des communes », relate-t-il. À compter de cette création intempestive de structure en mai 2019, le médecin vit « un vrai cauchemar », voyant fuir sa clientèle. « Dès le mois de juin, je savais que c'était fini pour moi dans le secteur », raconte-t-il, amer. Poussé au départ à cause de cette initiative d'élus locaux mal avisés, le Dr Boyer – recruté par un chasseur de tête – a accepté... un poste de salarié en Ardèche. Mais, explique-t-il, « j'ai dû quitter à contrecœur mes patients ».

Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin