LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir choisi le thème de la financiarisation pour votre congrès ?
Dr FRANCK DEVULDER : La CSMF veut alerter sur ses dangers et dérives. On voit bien que l’application de logiques financières comme principe premier gagne de plus en plus le secteur de la santé. Aujourd'hui, l'immense majorité de la biologie médicale est déjà détenue par cinq consortiums. Une véritable OPA est menée par des fonds d'investissement sur des spécialités considérées comme intéressantes sur le plan de la rentabilité, comme la radiologie, l’anatomopathologie, voire la radiothérapie. Le mouvement s'étend. Il n'y a pas un jour sans que des confrères m'expliquent qu'ils ont eu des propositions de rachat de leur clientèle à cinq, quinze, voire vingt fois le prix ! Comment peuvent-ils refuser ? Attention, je ne suis pas opposé à l'arrivée d'acteurs économiques avec un financement partagé où chacun peut se retrouver. Mais l'objectif ne peut pas être purement financier. On doit lutter contre les dangers de cette financiarisation qui fragilise notre système de santé solidaire et l'accès aux soins.
Comment se traduit concrètement ce mouvement ?
Par une sélection d'activités et d'organisations non pas pour améliorer l'accès aux soins mais pour des logiques de rentabilité. Certaines chaînes de cliniques privées – très dépendantes des fonds de pension – conduisent une politique qui consiste à fermer des maternités, des services d'urgences, à réduire des plages de bloc opératoire ou à licencier des médecins gériatres, des internistes.
Partout, on nous met sous pression en diminuant le temps de vacations pour avoir des organisations plus rentables. La crainte est que la rentabilité devienne la seule boussole de l’activité médicale. Ce qui conduirait au risque d’avoir pour seul objectif d’augmenter la quantité des actes facturés, entraînant une baisse de la qualité de la prise en charge. Encore une fois, je ne dis pas que la santé doit échapper aux règles économiques de base. Aucune entreprise libérale ne peut travailler à perte. Mais de là à imaginer que les malades sont des petits pois et qu'on va travailler à la chaîne pour améliorer la production, c'est inacceptable. Les dérives perverses de la financiarisation doivent cesser.
La loi prévoit des garde-fous mais elle est contournée. Comment la renforcer ?
La loi prévoit qu'un actionnaire non-médecin ne peut posséder plus de 25 % des actions de la société. Mais lorsque ces actions sont prioritaires – car distribuant 95 % des dividendes –, qui est le vrai chef ? Il convient donc de maintenir la règle des 25 % en prévoyant aussi que celui qui détient les actions prioritaires ne puisse pas gérer la société.
Concernant l'observatoire [de la financiarisation] proposé par l'Assurance-maladie, est-ce le bon outil ? Je crains que le temps qu'il produise ses effets, ce soit trop tard ! Des radiologues et des anapaths auront subi le même sort que les biologistes ou les cliniques privées. Et demain, puisque l'avenir de l'exercice médical est au regroupement, les appétits financiers des fonds d'investissement les conduiront à s'attaquer aux cabinets de généralistes regroupés. L'État doit impérativement s'en mêler pour arrêter cette dérive.
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