Comme s’il voulait anticiper les critiques du secteur, Pierre Moscovici a voulu se montrer pédagogue. « Ce n’est pas un plan d’austérité ! C’est ce qu’a juré en début de semaine le premier président de la Cour des comptes, en présentant une note de synthèse de 80 pages sur les moyens de juguler les dépenses maladie. L’objectif n’est pas de baisser le taux de l’Ondam mais de mieux maîtriser sa progression. Il y a un chemin pour trouver des économies sans dégrader la Sécurité sociale ».
Il n’empêche, c’est bien un tour de vis qui est réclamé par les magistrats. Alors que dérapent à nouveau les dépenses maladie en 2025 – et dans un contexte de dramatisation sur la situation des finances publiques – l’institution de la rue Cambon a dévoilé 15 mesures d’économies susceptibles de procurer « entre 19,4 milliards et 21,4 milliards d’euros d’ici à 2029 » sur la santé. Un remède de cheval ? Plutôt une ordonnance pour tenir la trajectoire des dépenses maladie conformément aux objectifs pluriannuels (à hauteur de + 2,9 % par an dans les trois prochaines années), en deçà du rythme actuel proche de + 5 % par an, assume la Cour.
Pratiques trop hétérogènes
Dans le cocktail de mesures avancées, plusieurs dispositions ciblent les professionnels de santé et les médecins en particulier. La Cour considère en effet que des « marges d’efficience » importantes existent dans la réduction des écarts de pratiques médicales (entre départements et entre établissements).
À l’hôpital, cette « hétérogénéité » est documentée à travers une dizaine d’interventions étudiées de 2014 à 2020. La chirurgie de la cataracte enregistre la plus grande dispersion des taux de recours par département. Les trois autres interventions présentant les disparités les plus élevées sont la chirurgie de la tumeur bénigne de la prostate, celle du canal carpien et les poses de stents coronaires sans infarctus. En 2019, le nombre d’hospitalisations pour pose de stents coronaires varie ainsi de 1 à 4 entre la Vendée et le Maine-et-Loire, d’une part, la Meurthe-et-Moselle et la Meuse, d’autre part. Les hospitalisations évitables ont pu être estimées à 2,5 % des séjours de médecine concernant l’insuffisance cardiaque. « L’analyse systématique des pratiques et des dépenses de santé doit permettre d’identifier les atypies et de les éviter », écrit la Cour.
Côté soins de ville, l’implantation géographique variable des soignants par rapport aux besoins de la population « affecte les pratiques professionnelles ». La Cour constate en effet que « les dépenses de santé par habitant et le nombre de consultations augmentent avec la densité des médecins ». Cette corrélation pourrait « conduire à s’interroger sur la pertinence des actes médicaux », analyse-t-elle.
Certaines prescriptions sont identifiées comme non conformes de longue date aux référentiels. Chez les patients âgés de 16 à 65 ans, seuls 9 % des dosages de vitamine D correspondent à une indication recommandée, soit une dépense non justifiée de 38 millions d’euros. Et en 2019, 16 millions de personnes ont consommé des IPP, prescrits dans la prise en charge du reflux gastro-œsophagien et des ulcères gastro-duodénaux, alors que plus de 50 % des usages ne seraient pas justifiés, pour un coût de 300 millions d’euros. La juridiction financière pointe les abus en matière de transports sanitaires (un poste dynamique à 6 milliards d’euros) et cite les arrêts maladie « largement au-delà des durées recommandées ». « Plus de 40 % des journées prescrites (9 millions) excèdent les durées les plus longues préconisées », notamment pour troubles anxiodépressifs, lombalgie, gastro-entérite virale, grippe saisonnière et angine, s’agace la Cour qui cite les données de la Cnam.
Changer d’échelle
Ces écarts dans les pratiques médicales ont un impact direct sur les coûts constatés. Ainsi, les dépenses standardisées de santé par patient varient entre départements dans une proportion presque du simple au double (1 804 euros en Haute-Savoie, 3 055 euros en Haute-Corse par exemple). « Il est nécessaire de changer d’échelle dans la mobilisation pour s’assurer de la pertinence des soins et réduire les dépenses atypiques, sans dommage pour la qualité des soins », réclame la rue Cambon.
Aucune sanction n’est prévue si les objectifs n’étaient pas atteints
Rapport de la Cour des comptes
Certes, la nouvelle convention, signée en juin dernier entre la Cnam et les syndicats de médecins libéraux, comporte 15 programmes d’actions pour limiter les prescriptions au service de la pertinence des soins, dans le cadre de la lutte contre l’antibiorésistance et de la réduction de la polymédication, avec des engagements chiffrés. Mais, déplore la Cour, « aucune sanction n’est prévue si les objectifs n’étaient pas atteints. En outre, il s’agit d’objectifs collectifs qui ne sont pas opposables individuellement à un professionnel et qui ne peuvent conduire à réduire les rémunérations individuelles ». Et si d’aventure les partenaires s’engagent à mettre en place « des actions correctives supplétives et/ou substitutives » pour les programmes qui prennent du retard, la seule clause de rendez-vous en septembre 2025 est « insuffisante, au regard des enjeux financiers ». Bref, les magistrats jugent que la convention manie un peu trop la carotte et pas assez le bâton.
Gager les futures revalos
Mais la Cour va encore plus loin dans ses préconisations. Elle recommande, au regard de la dégradation de la branche maladie et dans une logique de « responsabilisation » directe des professionnels, de « réduire l’ampleur habituelle » des mesures nouvelles de financement. En clair, cela signifie mettre un coup de frein sur les futures revalorisations, que ce soit en ville (honoraires) ou à l’hôpital et dans le secteur médico-social (mesures salariales, point d’indice). « Il paraît envisageable de resserrer l’ampleur des mesures nouvelles dans les prochaines années autour de priorités à définir lors du vote des lois de financement de la Sécurité sociale », insiste la rue Cambon.
D’après son calcul, jusqu’à quatre milliards d’euros de moindres dépenses d’ici à 2029 pourraient être dégagés. Du côté des libéraux, l’idée serait « au minimum » de conditionner l’application des nouvelles revalorisations par la « réalisation effective des économies envisagées pour les gager ». De quoi annoncer de prochaines séances toniques entre la Cnam et les syndicats.
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