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Dossier

Hors AMM : une prescription sur cinq en médecine générale

Les prescriptions hors normes dans le collimateur de l’ANSM

Publié le 02/10/2015
Les prescriptions hors normes dans le collimateur de l’ANSM


VOISIN/PHANIE

La pratique du hors AMM s’est répandue en France puisqu’elle concernait, en 2013, environ 19 % des prescriptions de médecine générale. Souvent utile, parfois nuisible, elle attire en tout cas l’attention de l’ANSM qui a décidé de se pencher sur le phénomène dès l’année prochaine. Son directeur général, le Dr Dominique Martin, annonce une mission d’information sur le sujet.

On a tous bien en tête le récent feuilleton baclofène où cet anti-contracturant, sur des données empiriques, a été détourné de son usage premier pour aider les patients à lutter contre le « craving » alcoolique. Médecins généralistes en tête, les prescripteurs « hors normes » ont poussé l’Agence du médicament à sortir de sa réserve pour finalement octroyer une recommandation temporaire d’utilisation au baclofène dans l’indication réduction de consommation d’alcool. Cette histoire illustre bien que prescrire hors AMM, c’est – au moins dans l’intention – prescrire au bénéfice du patient.

Et si on attribue naturellement aux spécialistes, notamment pédiatres, cette pratique « hors des clous », la thèse du Dr Philippe Saby (université Paris Diderot-Paris 7) intitulée « Prescription hors AMM en médecine générale », soutenue en 2013, montre qu’environ une prescription sur cinq en médecine générale obéit actuellement à une délivrance de ce type. On peut dès lors se demander pourquoi, dans leur pratique, les médecins ont recours si fréquemment à ce mode de prescription ?

« L’intime conviction du médecin »

L’étude qualitative effectuée par le Dr Philippe Saby montre que ce genre de sortie du cadre est souvent lié à l’« l’intime conviction du médecin », l’usage, les habitudes, prises très tôt dans le cursus qui servent alors de fondement à la prescription. Cela peut se faire également dans le contexte d’une simple reconduction d’ordonnance de spécialiste, non remise en question.

Parfois aussi, les prescriptions hors AMM se font sans que les médecins en aient conscience. Il s’agit alors d’une méconnaissance de l’AMM, ce que confirme Joël Cogneau, directeur de l’Institut de Recherche en Médecine Générale (IRMG). Le défaut d’information pouvant ici expliquer le phénomène qu’il soit dû à une formation personnelle insuffisante ou à une absence de certains médicaments dans le Vidal. Enfin, la demande du patient n’est pas sans jouer un rôle, comme dans le cas d’une prescription de benzodiazépines prolongée au-delà de la durée inscrite dans le RCP.

Quels sont les principaux médicaments concernés ? Il s’agit, pour la plupart, de substances figurant parmi les plus vendues en ville, c’est-à-dire les antithrombotiques, les analgésiques, les antipyrétiques, les anti-ulcéreux, les anxiolytiques et les antihistaminiques, qui représentent plus de 30 % de ce type de prescription.

30 % des coxibs prescrits en dehors de l’AMM en 2007

Les études sont rares sur le sujet et il faut remonter loin dans le calendrier pour trouver des données. Ainsi, un travail publié en 2007, montre que les IPP n’étaient prescrits en ville dans le cadre de l’AMM que dans 35 % des cas. Une enquête, de 2007, dans le Nord-Pas-de Calais, a constaté que 30 % des coxibs étaient prescrits en dehors de l’AMM. De même, en 1998, l’Observatoire national des prescriptions et consommations de médicaments montrait qu’une prescription sur cinq d’antidépresseurs en ville était faite hors AMM. Et, en 2004, seulement 35 % des patients traités par anti-histaminiques présentaient une positivité d’un test multi-allergène cutané et 38 % seulement des IgE positives. Enfin, les prescriptions de clopidogrel sortaient, du cadre de l’AMM dans 40 % des cas d’après un travail de la CNAMTS réalisé en 2002. Quelles sont les conséquences de ce mode de prescription ? Si, dans la très grande majorité des cas, elles « fonctionnent » bien et n’engendrent pas d’effets secondaires, des accidents sont parfois à déplorer.

Un usage qui fausse le rapport bénéfice-risque

En témoigne le dernier rapport du Sou médical qui mentionne, parmi les sinistres en responsabilité civile professionnelle, quatre incidents dus à des prescriptions hors AMM (ce qui reste peu fréquent). L’ANSM a, par ailleurs, décidé de se pencher sur le phénomène dès l’année prochaine, pour faire un bilan précis de la situation, jugeant que cette pratique fausse le rapport bénéfice-risque des médicaments (lire l’entretien avec le Dr Domnique Martin).