L'examen clinique seul est un reflet insuffisant

Vers une nouvelle classification des troubles de conscience

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Publié le 14/12/2017
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Crédit photo : phanie

Le vocabulaire n'est pas qu'un choix de mots, la terminologie reflète la compréhension que l'on a des choses. Et pour le Pr Lionel Naccache, responsable de l'équipe « PICNIC Lab » à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (CNRS/INSERM/UPMC) et chef du département de Neurophysiologie clinique de l'hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP) : « C'est le moment d'utiliser une nouvelle classification des troubles de conscience ».

L'approche actuelle est basée sur la clinique via une échelle devenue en quelques années le standard, la CRS-R. Le chercheur neurologue propose dans « Brain » de la combiner à l'imagerie cérébrale fonctionnelle. « Il existe aujourd'hui des candidats solides et sérieux de signatures de conscience à l'imagerie fonctionnelle, explique Lionel Naccache. On peut déjà en faire usage en pratique pour corriger le diagnostic et le pronostic et pour savoir avec plus de certitude si l'on se trouve dans une situation de confiance ou de doute. »

La classification actuelle rencontre des limites, analyse le Pr Naccache dans l'article qui se veut « une critique constructive », en particulier pour l'état de conscience minimale (minimally conscious state, MCS) décrit en 2002. Et le Pr Naccache explique pourquoi il lui préfère le terme « État médié par le cortex » (ou CMS pour Cortically Mediated State).

État médié par le cortex plutôt qu'état de conscience minimale

« Cet état intermédiaire, qui comporte le mot "conscience" sous-entend que le patient est conscient, explique Lionel Naccache. En réalité, on n'en sait rien. Le score obtenu avec l'échelle CRS-R nous dit juste que le cortex participe au comportement et donc qu'il y a plus de chances d'avoir un état de conscience. Mais ce n'est pas suffisant. Quand un patient bouge les yeux, cela démontre qu'il y a activation au niveau du cortex et pas au niveau de la moelle épinière ni du tronc cérébral. Cela ne nous dit pas si le patient est conscient. »

L'utilisation de l'imagerie fonctionnelle, que ce soit l'IRM ou l'EEG, permettrait d'avoir un accès à « l'approche psychologique » dans le diagnostic de l'état de conscience. Le neurologue rappelle dans son article que la neurologie repose sur deux pieds : c'est un exercice bipodal, reposant à la fois sur une approche dite comportementaliste (réflexes, manoeuvre comme le Romberg, etc) et sur une approche psychologique.

L'approche psychologique a pour but de collecter les éléments subjectifs pertinents, exprimés spontanément ou à l'interrogatoire. La plupart du temps, cela permet au neurologue « d'avoir un diagnostic correct dans la vaste majorité des cas », par exemple dans les céphalées de faire la différence entre une migraine, une algie vasculaire de la face, une névralgie faciale, des céphalées de tension, une hypertension intracrânienne ou encore un syndrome méningé.

Avoir un accès au ressenti conscient du patient

Or, par définition, il n'est pas possible de recueillir les éléments subjectifs chez les patients non communicants. « Il y a le mot conscience dans l'état de conscience minimale, expose Lionel Naccache. C'était dommage de ne pas avoir accès au ressenti subjectif conscient du patient dans les MCS. C'est ce que nous permet maintenant de faire l'imagerie fonctionnelle. Par exemple, un test consiste à faire écouter des séries de sons au patient et de lui demander de faire attention aux sons inhabituels. Il y a deux types de réponse, une réponse inconsciente à la nouveauté et une autre spécifique reflétant la prise de conscience d'un élément nouveau. Si les deux sont présentes, cela nous permet de dire qu'il existe un état de conscience à un niveau assez élevé ».

La connaissance des signatures de conscience est un domaine de recherche en progression, « et demande à être encore affinée », précise Lionel Naccache. Un consortium de 6 gros laboratoires, dont celui du Pr Naccache, y travaille avec le soutien de la fondation McDonnell. « La nouvelle classification proposée veut avant tout stimuler et bouleverser la vision des choses », souligne-t-il. L'article se termine ainsi : « La conception d'un "état minimal de conscience" comme un "état médié par le cortex" améliorerait la façon dont nous pensons ces patients, la façon dont nous essayons de les soigner, et "last but not least" la façon dont nous expliquons leurs états à leurs proches ».

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin: 9627