Successeur de François Braun à la tête de Samu-Urgences de France (SUdF), le Dr Marc Noizet dresse un bilan mitigé de cet été dans les services d’urgences et les Samu-Centre 15. Pas de « catastrophe » ni de « rupture de fonctionnement » au Samu mais bien « une accumulation de difficultés importantes ». Chef du service d'urgence du groupe hospitalier de la région de Mulhouse et Sud-Alsace (GHRMSA) et du Samu du Haut-Rhin, il milite pour le retour des gardes obligatoires pour tous les libéraux.
LE QUOTIDIEN : Pour François Braun, la catastrophe annoncée aux urgences ne s’est pas produite cet été… Est-ce votre avis ?
Dr MARC NOIZET : On ne peut pas parler de catastrophe, mais d’une accumulation de difficultés importantes ! C’est la première fois, dans l’histoire de la médecine d’urgence, que nous avons été obligés durant l’été de restreindre l’accès ou de fermer de nombreux services d’urgence (SU) et de diminuer le nombre de lignes de Smur. Les SU étaient fortement saturés, les patients ont donc dû attendre des heures, voire plusieurs jours, sur un brancard, parfois faire des kilomètres pour être pris en charge…
Seuls huit services d'urgence étaient totalement fermés début août, selon le ministre qui fait la différence entre « fermetures » et « accès régulés »…
Tout cela, c’est de la sémantique ! Au SUdF, nous essayons d’être factuels. Quand un service est fermé, on ne peut pas rentrer à l’intérieur. Quand il est « régulé », cela veut dire qu’il est ouvert, mais qu’il n’y a pas d’accès spontané. En juillet, SUdF avait dénombré 42 établissements contraints de fermer complètement leurs services, de jour ou de nuit, de manière partielle ou continue.
Avez-vous recensé des événements indésirables graves aux urgences au cours de l’été ? Selon « Libération », une octogénaire est décédée après plus de sept heures d’attente dans un hôpital du Grand-Est…
L’ARS cherche encore à savoir où cela a eu lieu, pour vérifier si le décès de cette patiente est imputable à une organisation altérée par la situation estivale. Il n’y aura donc sans doute pas d’enquête, et c’est bien malheureux. De notre côté, nous n’avons pas de remontées d’événements indésirables graves, mais il est fort probable qu’il y ait eu des incidents. Il y a sans doute eu aussi des pertes de chances, en raison de retards de prise en charge ou des longues distances à parcourir.
In fine, quel bilan tirez-vous de cet été aux urgences ?
On a fermé plus de SU en août qu’en juillet et les Centres 15 ont continué à être fortement sollicités. Les équipes ont tenu le choc mais les conditions d’exercice se sont dégradées. C’est un élément qui vient s’ajouter à la crise sanitaire. Certaines équipes sont sorties essorées de ces deux mois. Cela a conduit à des démissions, des congés maladie, des demandes de disponibilité. Il est primordial d’adresser des signaux forts, dès cet automne, pour dire aux professionnels que l’on a compris leurs difficultés, que l’on travaille dessus, que l’on va trouver des solutions.
Au-delà de l’attractivité salariale, ce sont les conditions de travail qu’il faut améliorer. Aux urgences, il y a une problématique de sous-effectifs, mais aussi de disponibilité des lits. Il faut trouver aussi des solutions pour accueillir au quotidien les patients non programmés, cela serait un signal fort envoyé aux professionnels des urgences. Cela ne doit pas forcément passer par une augmentation du nombre de lits, une organisation différente est possible.
Quel regard portez-vous sur la régulation médicale préalable via le 15 ?
La régulation de l’accès aux urgences, qui a été mis en place dans 42 départements en juillet, doit se poursuivre. Est-ce qu’elle doit être généralisée immédiatement ? Je n’en suis pas sûr, car cela doit se faire de manière concertée et coordonnée, en fonction des territoires. Ce qui est sûr, c'est que nous ne serons plus capables de fonctionner comme avant, tant que l’on n’aura pas retrouvé des effectifs en nombre suffisant. Et faire simplement de la pédagogie auprès des patients ne sera pas suffisant, car il faudra plusieurs années pour changer les pratiques.
Il faudra donc moduler l’accès aux urgences, le rendre moins libre qu’avant afin de réserver les ressources rares aux patients qui en ont réellement besoin. L'été nous a montré qu’on était capables d’organiser, avec l’aide de la médecine libérale, des filières de prise en charge différentes.
Est-ce que les Samu-Centres 15 ont réussi à faire face ?
Oui, mais pas dans d’excellentes conditions. Aucun Centre 15 n’a été en rupture de fonctionnement, mais les délais de prise en charge des appels ont été plus longs. Les mesures de la mission Braun ont ouvert des possibilités de recrutement supplémentaires d’assistants de régulation médicale (ARM) et de médecins régulateurs libéraux. Certains départements ont réussi à les mettre en œuvre, d’autres non, en raison d’un manque de ressources. Le recrutement a été compliqué au cœur de l’été et les ressources n’ont pas été à la hauteur des espérances. On a été contraints de sursolliciter les personnels qui étaient présents, si bien que certains ARM ont décidé de partir. On ne peut pas continuer à pérenniser des solutions sans mettre suffisamment de ressources en face.
La majoration de 15 euros sur les consultations non programmées régulées par le 15 ou le SAS a-t-elle été efficace ?
C’est difficile à dire car cela dépend des territoires. Dans certains départements, les médecins libéraux se sont mobilisés pour répondre à la demande. Je pense à la CPTS située à proximité du CHU de Nancy. Les généralistes se sont mobilisés pour que les soins non programmés ne soient pas pris en charge aux urgences, mais en ville. Dans d’autres endroits, la mobilisation a été moins importante, car les professionnels étaient en congé ou tout simplement pas assez nombreux.
Le secteur privé participe-t-il suffisamment à la permanence des soins ?
Un certain nombre de cliniques ou de médecins libéraux refusent d’y participer, ils pensent qu’il ne s’agit pas de leur mission. Mais les PH n’ont pas non plus choisi l’hôpital public pour travailler la nuit et le week-end. On ne peut plus tolérer ce profond déséquilibre, notamment en termes de pénibilité du travail. Je suis donc pour le retour des gardes obligatoires pour les libéraux, c'est une question de responsabilité.
La médecine libérale et la médecine publique doivent participer de façon équilibrée à la permanence des soins. Si les lignes ne bougent pas, on va droit dans le mur, car nous n’aurons plus, à terme, de praticiens dans les hôpitaux publics. Faire deux nuits de garde par mois, ce n’est pas la mort… À Mulhouse, il y a deux ORL à l’hôpital et 13 dans la clinique libérale. Les deux ORL de l'hôpital sont les seuls à faire de la permanence des soins. Ce n’est pas normal.
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