Vendredi 10 septembre 2010 à l’Assemblée nationale. À l’issue de six heures de débat et d’une série de manifestations monstres, le Parlement adopte la réforme des retraites qui avalise le recul de l’âge de départ de 60 à 62 ans. Les photographes de presse immortalisent ce moment clé pour Éric Woerth. Assis sur la banquette de velours rouge derrière le ministre du Travail, son directeur de cabinet, Sébastien Proto, est hilare. C’est l’un des artisans de ce texte de loi qui fera date dans l’histoire sociale du pays. Il a 32 ans.
L’un des trois mastodontes du secteur
Treize ans plus tard, l’homme a troqué la veste d’éminence grise politique pour celle, non moins stratégique, de président exécutif des 140 cliniques Elsan. Le groupe Elsan, c’est l’un des « trois gros qui fait le jeu… à la place de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) », explique carrément ce gastro-entérologue qui exerce dans l’un des plus gros établissements du groupe. De fait, avec Ramsay Santé et Vivalto Santé, Elsan assure près de la moitié de l’activité privée du pays. Ce qui lui confère un certain poids politique auprès des pouvoirs publics, renforcé par l’arrivée de Sébastien Proto, le 4 septembre 2023.
Les profils comme celui de cet énarque de 46 ans (qui a fait ses classes avec un certain Emmanuel Macron), inspecteur des finances puis banquier d’affaires, ne sont pas si courants dans le monde de la santé. Lui a oscillé toute sa vie entre service public (auprès d’Éric Woerth et Valérie Pécresse au Budget, puis de Nicolas Sarkozy qu’il conseilla pendant sa campagne présidentielle de 2012) et postes de premier plan dans la haute finance (Rothschild & Cie, Société générale).
Au gouvernement, trois budgets de la Sécu (LFSS) sont passés entre ses mains. En revanche, il est beaucoup moins familier du monde des médecins mais ne s’en formalise pas. Continuer sa carrière dans la santé ne relève en rien du hasard. En plus d’une appétence pour les sujets d’intérêt général, « les enjeux sanitaires, territoriaux, d’accès aux soins, de proximité, de réponses aux patients, qui sont fondamentaux » à ses yeux, ont contribué à ce choix, assure au Quotidien cet homme aux contours tranquilles.
S’il faut fermer des cliniques, il fermera, car seuls les dividendes des actionnaires comptent
Un chirurgien d’une clinique Elsan
S’il affiche une forme de retenue en toutes circonstances, son arrivée à la tête d’Elsan n’est pas passée inaperçue. À travers cet « archétype du banquier », un chirurgien président d’une CME d’une clinique du groupe regrette la « financiarisation » du secteur et une certaine déconnexion avec la réalité du terrain et du soin : « 38 % de nos cliniques sont dans le rouge. S’il faut fermer, Sébastien Proto fermera car seuls les dividendes des actionnaires comptent, la santé passe ensuite ». Comme dans le public, le groupe connaît des tensions RH dans certaines maternités, aux urgences, aux blocs. Fin janvier, Sébastien Proto s’est rendu dans les Pyrénées-Orientales pour confirmer que la clinique de Céret resterait ouverte.
Plus modérée, la Dr Sandrine Guinebretière, gynécologue-obstétricienne et ancienne présidente de la CME de la polyclinique de l’Atlantique, fleuron nantais du groupe, apprécie que Sébastien Proto soit en capacité « de donner davantage de visibilité à l’institution privée ». Et de rappeler qu’elle aussi, comme ses collègues libéraux, sont parfaitement au fait des exigences de rentabilité.
C’est le plus gros bosseur que je connaisse. Et dans le milieu des beaux parleurs, il est hyperfiable
Gaspard Gantzer, son ami
Face aux critiques, Sébastien Proto dénonce une « caricature facile » et s’agace de voir le privé lucratif, qu’il défend ardemment, en être lui aussi victime. « On considère trop souvent, à tort, que le secteur public est en difficulté à cause de la croissance du secteur privé, déplore-t-il. On ne mesure pas assez à quel point les patients ont besoin d’avoir les deux : un hôpital public fort et un hôpital privé fort. »
Ultra-pragmatisme
Sébastien Proto a repris la feuille de route de son prédécesseur Thierry Chiche avec l’ultra-pragmatisme qui le caractérise. Sans bousculer les organisations syndicales, ce dont lui rend grâce Fabien Hallet, secrétaire fédéral santé sociaux de la CFDT, qui a apprécié trouver en face de lui « une personne ouverte à la discussion ». Président de la FHP, Lamine Gharbi loue le « mode relationnel basé sur l’échange et le partage » qu’il entretient avec « Sébastien ».
Au-delà de sa personnalité et de son CV, forcément clivants, sa capacité de travail est vantée par ceux qui le connaissent bien. Il y a vingt ans, Gaspard Gantzer était son « coloc » à Strasbourg. Tous deux potassaient l’Ena. « La vie politique nous a séparés mais nous sommes restés amis, confie l’ancien conseiller de François Hollande. C’est le plus gros bosseur que je connaisse. Et dans le milieu des beaux parleurs, des joueurs de pipeau, Sébastien est hyperfiable. C’est sa plus grande force. » Il en faudra à cet amateur de boxe thaï pour relever le gant de l’hospitalisation privée.
Elsan en chiffres
140 cliniques
28 000 salariés
7 500 médecins libéraux
4,2 millions de patients soignés par an
Un taux de chirurgie ambulatoire de 70 %
2,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021
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