En Italie, pour réduire les coûts exorbitants des procédures, diminuer le nombre de plaintes contre les médecins et enrayer la fuite des praticiens qui partent travailler à l’étranger, le Dr Orazio Schillaci, ministre de la Santé a proposé de dépénaliser les erreurs médicales. Décryptage avec le Dr Antonio Magi, président de l’Ordre des médecins de Rome.
LE QUOTIDIEN : Comment expliquez-vous l’augmentation du nombre de plaintes contre les médecins en Italie ?
DR ANTONIO MAGI : Les indicateurs démontrent que la situation est plutôt stable au niveau des réclamations durant les dernières années et qu’une bonne partie n’aboutit pas. Une part des plaintes relève de la normalité dans la mesure où une personne qui estime avoir subi un tort a le droit d’obtenir réparation de son préjudice. Les erreurs sont toujours possibles. Ces plaintes que je qualifierais de « physiologiques » ne sont pas en augmentation et même probablement en diminution. En revanche, les réclamations « pathologiques », c’est-à-dire les plaintes déposées par des patients qui ne sont pas conseillés par un avocat mais par des associations, sont de plus en plus fréquentes.
Selon la loi Gelli adoptée en 2017 et qui a modifié le cadre juridique des plaintes contre les médecins, c'est l’employeur du praticien, qui est responsable d’un point de vue légal. Le médecin peut être poursuivi seulement en cas de grave erreur médicale. Nous avons noté que certains patients saisissent la justice au civil mais aussi au pénal. Cette stratégie leur permet de faire pression sur la partie adverse pour l’obliger à recourir à la conciliation et ainsi éviter un procès qui lui coûterait nettement plus cher.
Quels sont les médecins les plus impliqués d’un point de vue juridique ?
Les urgentistes et les chirurgiens spécialisés en gynécologie, obstétrique, orthopédie. Les radiologues sont aussi en première ligne mais nettement moins. En ce qui concerne les urgences, les risques professionnels sont beaucoup plus élevés en raison de la dégradation de conditions de travail, du manque de personnel et des horaires de plus en plus lourds. En chirurgie, là aussi, les risques liés à la profession existent. Une opération n’est jamais sans risque même si beaucoup de gens partent désormais du principe que les contre-indications n’existent plus et qu’une intervention peut toujours être effectuée. J’ai l’impression qu’en Italie, on ne peut plus mourir ! Dès que quelqu’un meurt notamment en milieu hospitalier, une plainte est déposée contre l’établissement et toute l’équipe médicale. Pour les médecins, travailler dans ces conditions est de plus en plus compliqué. Un confrère chirurgien cardiologue m’a récemment confié que ses patients portent plainte contre lui au moins une fois par semaine.
Avez-vous le sentiment que le recours aux médecins intérimaires en milieu hospitalier provoque de plus en plus d’erreurs médicales ?
On ne peut pas légitimer le recours aux intérimaires qui présente une série de risques évidents sur le plan médical. Primo, les médecins intérimaires ne sont généralement pas testés avant d’être parachutés en milieu hospitalier. Or leurs compétences ne correspondent pas automatiquement au profil requis dans certains secteurs comme les urgences. Par ailleurs, ces praticiens sont payés par le service public via les coopératives spécialisées dans l’intérim médical. Un contresens total dans la mesure où les coopératives fixent les tarifs horaires qui ne correspondent pas à celui d’un médecin spécialisé recruté par un établissement public structuré. L’État devrait plutôt recruter et payer directement des praticiens pour remettre le secteur hospitalier sur les rails.
Le ministre de la Santé, le Dr Orazio Schillaci, a récemment proposé de dépénaliser les erreurs médicales pour enrayer la fuite des médecins en milieu hospitalier. Avez-vous le sentiment qu’une telle décision pourrait inverser la tendance ?
En l’état actuel, un médecin qui commet une erreur médicale peut être poursuivi au même titre qu’une personne qui tire sur quelqu’un pour le tuer. Il n’y a aucune différence, ce qui est anormal. Le ministre de la Santé a proposé de revoir le système pour éviter que la responsabilité pénale du médecin soit engagée.
Mais il faudrait également modifier les conditions d’un recours à la justice civile et passer d’un système d’indemnisation et non plus de dommages et intérêts. Par exemple, il faudrait peut-être s’inspirer du système de points appliqués par les assurances qui permettent de calculer le montant des indemnités versées en cas d’accident. En revanche, lier la fuite des médecins à la question de la dépénalisation est à mon avis une erreur. Les jeunes médecins partent parce qu’ils sont mieux payés à l’étranger. En Italie, les salaires ne sont pas suffisamment séduisants par rapport à la moyenne européenne. Nous sommes les cancres de la classe ! En Espagne, l’avant-dernière dans la classification des salaires dans le secteur médical en Europe, un médecin touche 35 000 euros de plus par an qu’un praticien en Italie.
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