Les associations de patients vivant avec des maladies psychiatriques en avaient fait un véritable combat : faire reconnaître le droit d’évoquer ses préférences en matière de soins, et ce, en amont d’une période où les troubles psychiques peuvent priver temporairement de la capacité de jugement et de la faculté de prendre des décisions pour soi-même. C’est en effet dans ces situations de vulnérabilité que le patient est susceptible de se mettre en danger. La famille et les professionnels de la santé peuvent recourir à une hospitalisation et des soins sous contrainte, situation qui ajoute de la souffrance au patient et qui est difficile à vivre pour l’entourage et les soignants.
Des patients qui ne s’imaginent pas acteurs de leurs soins
Le Quotidien a pu discuter avec des personnes vivant avec des troubles psychiques (hors de phases aiguës) de l’impact des hospitalisations subies. « Longtemps, j’ai refusé d’envisager la possibilité d’être acteur de mes soins. Lors de mes hospitalisations, je pensais qu'il n’était pas acceptable de se positionner par rapport aux soignants », analyse Thibault, schizophrène de 55 ans. Pour Cécile, 42 ans, souffrant de troubles schizoaffectifs, « alors que les médicaments prescrits ne me convenaient pas toujours, je ne l’évoquais pas. Je préférais simuler la prise de mes traitements lorsque je trouvais que ceux-ci ne m’allaient pas ». Yohann, 28 ans, indique : « Je n'avais pas identifié les signes précurseurs de mes crises. J’étais persuadé que si les soignants prenaient des décisions, y compris de manière paternaliste, sans dialogue, cela ne pouvait être modifié ».
Le fait pour un patient de préparer des directives anticipées réduit de plus de 30 % les hospitalisations sous contrainte
Les soignants, eux, plébiscitent aussi la mise en place des directives anticipées incitatives en psychiatrie (DAiP). Les auteurs d’une étude randomisée qui testait l’intégration au dossier médical des DAiP (sept hôpitaux partenaires, 394 participants vivant avec des troubles bipolaires, une schizophrénie ou des troubles schizoaffectifs) mettent en avant des résultats très significatifs dans le domaine de la gestion de crise. Au bout d’un an de suivi, le fait pour un patient de préparer des directives anticipées psychiatriques réduit de plus de 30 % les hospitalisations sous contrainte. « Concrètement, les directives anticipées permettent au patient de choisir une personne de confiance, puis de décrire ses symptômes : quels sont les signes avant-coureurs d’une crise, comment une crise se manifeste. Le ressort de l’efficacité réside déjà beaucoup dans cette identification des symptômes et des troubles. Cela aide à mieux anticiper, à élaborer un plan d’action pour soi-même, à exprimer ses souhaits concernant les traitements, le lieu de la prise en charge, de laisser aussi des consignes pour les proches », analysent les auteurs (1).
Outils de dialogue et d’introspection
Dans la pratique, quels outils de dialogue peuvent être partagés entre les soignants et les personnes vivant avec des pathologies psychiatriques ? La Haute Autorité de santé, dès 2016, a préconisé et proposé un Plan de prévention partagé (PPP), outil qui vise à recueillir les souhaits d’une personne concernée par des troubles psychiques. En 2024, l’association Prism (Prévention, rétablissement et inclusion en santé mentale) – en association avec Psycom, un organisme public d'information sur la santé mentale et de lutte contre la stigmatisation – a développé un outil spécifique : les livrets « Mon GPS… » (pour Guide de prévention et de soins en santé mentale). Ils sont accessibles en téléchargement gratuit et destinés à toute personne vivant ou ayant vécu des difficultés psychiques.
Cet outil d’introspection et de dialogue présente l'avantage de ne pas être axé seulement sur la crise. Il s’agit tout d’abord d’un outil de projection, qui permet d’anticiper les rechutes potentielles et donne aussi aux proches, aux aidants la possibilité d’être mieux équipés pour réagir face aux signes précurseurs d’une crise. En cas d'hospitalisation, l'équipe soignante peut aussi ajuster les restrictions de liberté en prenant en compte les priorités et les valeurs exprimées par la personne concernée. Intégré au dossier médical et modifiable à tout moment, « Mon GPS » offre une opportunité de communication fluide entre les patients et les professionnels de santé. Comme l’explique Thibault, l’un des patients rencontrés par Le Quotidien, « j’ai le sentiment d’avoir mis par écrit ce que je ressens quand la crise arrive, ce que je veux, ce que je ne veux pas. Je sais bien que les DAiP n’ont pas de vraie valeur légale mais je me sens protégé ».
(1) Tinland A, Loubière S, Mougoet F et coll. Effect of Psychiatric Advance Directives Facilitated by Peer Workers on Compulsory Admission Among People With Mental Illness. A Randomized Clinical Trial. Jama Psychiatry. 2022;79(8):752-759. DOI : 10.1001/jamapsychiatry.2022.1627
Services saturés, généralistes isolés : la prise en charge des urgences psychiatriques scannées par deux députées
Congé parental, rémunérations, harcèlement au travail : l’ordonnance du collectif Femmes de santé contre les discriminations
Au CHU de Grenoble, soignants et médecins relancent la grève pour « des bras, des lits » et des blocs
Le décret de sécurité de l’anesthésie fête ses 30 ans, le Snphare appelle à sanctuariser les ressources humaines