Le douloureux souvenir de la flambée épidémique liée au variant delta était dans tous les esprits au salon hospitalier SantExpo, lors d’une conférence consacrée aux leçons de la crise dans les outre-mer. Ces territoires représentent à eux seuls 30 % des décès liés au Covid depuis l'été (alors que leur population représente 4 %). Partout, les capacités hospitalières y ont été saturées.
Gérard Cotellon, directeur général du CHU de la Guadeloupe, a égrené les raisons de la catastrophe, lors de la quatrième vague meurtrière : « très faible » couverture vaccinale, plombée par un discours antivax qui trouve un large écho, défiance envers les pouvoirs publics et la métropole mais aussi indicateurs sanitaires particuliers – « environ 130 000 personnes porteuses de maladies chroniques : obésité, diabète, insuffisance rénale, hypertension… ». Les infections de ces patients fragiles ont débouché sur « des formes graves qui se terminaient très mal », a souligné le patron du CHU.
Yvon Pacquit, président de la FHF Martinique, a partagé cette inquiétude, pointant du doigt le lien entre maigre taux de vaccination et intensité de la flambée épidémique. Et « comme le taux est encore trop faible, nous ne sommes pas à l’abri d’une cinquième vague. » La situation sociale « extrêmement sensible », sur fond de remise en cause du pass sanitaire et de l’obligation de vaccination des soignants, complique la donne. Preuve des difficultés, le gouvernement a mis fin à la mission de médiation au CHU de Martinique « en raison du blocage d'une minorité d'acteurs » mais reporté l’obligation vaccinale (schéma complet) pour les personnels de soins au 31 décembre…
Communication ratée
Alors que le risque de rebond épidémique est élevé, quels enseignements tirer ? Avec le recul, le DG du CHU de la Guadeloupe juge que les autorités auraient dû communiquer de façon différenciée sur la vaccination, en privilégiant « une approche populationnelle pour s’adresser à des patients ciblés : les diabétiques, les obèses, les hypertendus et les insuffisants rénaux », qui représentent la majorité des décès sur l’île. Gérard Cotellon souligne aussi que son établissement n’a pas su préserver l’offre de soins non-Covid, accumulant retards et absences de prise en charge. Un constat qui doit alerter sur le manque de moyens humains, matériels et logistiques et conduire à un soutien adapté.
Dans la même veine, Clara de Bort, directrice générale de l’ARS Guyane, défend la « CHRisation » pour développer l'offre locale de soins aujourd'hui « insuffisante ou inexistante ». Selon l'ex-directrice de la Réserve sanitaire, « il n’est pas normal de devoir sortir de Guyane pour des interventions chirurgicales ou médicales parfois très urgentes ». Le gouvernement a prévu la création d’un CHU multisite unifié à l’horizon 2025 et le doublement des capacités d’hospitalisation en soins critiques d’ici à 2024.
Reste qu’il sera difficile, sur le plan économique, d’augmenter les capacités de réa outre-mer « pour faire face à des situations statistiquement exceptionnelles », analyse le président de la FHF Martinique. Yvon Pacquit préfère « capitaliser sur les procédures et le savoir-faire acquis la durant la crise ». Le renforcement de la coopération intra-territoriale (public/privé notamment) doit permettre aussi d'être plus réactif car « on ne peut pas baser notre réponse sanitaire uniquement sur la solidarité nationale ».
Coefficient géographique inadapté
Directeur du CHU de la Réunion, Lionel Calenge milite pour « l’autarcie sanitaire » y compris en développant des spécialités de recours – greffe cardiaque, de moelle osseuse, chirurgie cardiaque des malformations congénitales, etc.) permettant d'éviter au maximum les évacuations sanitaires (Evasan). Pour y parvenir, la question de l’offre de soins dans les territoires ultramarins se révèle cruciale. « On ne peut pas plaquer un logiciel purement métropolitain à la réalité hospitalière ultramarine, plaide-t-il. Par exemple, on ne peut pas fermer des lits et faire le virage ambulatoire » dans des zones où la population est massivement sous le seuil de pauvreté et au chômage.
Sur le plan financier, la crise a révélé à ses yeux « l'inadéquation des modes de financement ultramarins par rapport à nos nécessités, à notre éloignement, à notre insularité ». Ainsi, le coefficient géographique appliqué aux tarifs des séjours hospitaliers (31 % à La Réunion), créé pour amortir les surcoûts supportés par les établissements ultramarins, est « inadapté », notamment parce qu’il ne compense pas une « surrémunération de 40 % pour les médecins de la région et de 53 % pour les personnels non médicaux ».
Et pourtant, « il faudra investir beaucoup d’argent dans les prochaines années pour que les établissements ultramarins se mettent au niveau », alerte Christophe Robert, directeur du CH de Cayenne (Guyane). Il regrette à cet égard que la piste d'un « Ségur de l’outre-mer » ait été « un peu rapidement abandonnée ». La FHF soutient cette initiative, qui aiderait ces territoires à s'extirper d'une impasse à la fois thérapeutique et économique.
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