Auditionné par la commission d'enquête du Sénat sur « la situation de l'hôpital et le système de santé en France », le Dr François Escat, médecin urgentiste libéral à Muret (Haute-Garonne), a lancé jeudi un « appel au secours », une semaine après le constat alarmant déjà dressé par les représentants des PH, devant cette même commission.
L’un des cinq responsables de services d’urgence (SU) ainsi entendus par les sénateurs explique que les libéraux des 120 structures privées de France (15 % de l’activité totale des urgences) sont « tous épuisés physiquement et nerveusement ». Selon lui, « l’heure est grave », car « nous sommes tous en train d’y laisser notre peau ». Il s’inquiète des « drames » à venir.
Une « gestion industrielle de la médecine »
Et si de nombreux médecins ou paramédicaux quittent les urgences, c’est parce qu’ils « craquent », parce qu’ils refusent à la longue de « faire toujours plus avec toujours moins », selon le médecin de Haute-Garonne, convaincu que la médecine d'urgence s’est transformée, au fil des ans, en une « médecine catastrophe ». La catastrophe est devenue « permanente », car « le flux ne s’arrête jamais », tandis que la situation s’aggrave d’année en année. Aujourd’hui, « nous sommes submergés à tous les niveaux », a encore affirmé le Dr François Escat pour qui la régulation médicale du Samu fait face à des volumes d’appels ingérables, avec des temps d’attente qui peuvent parfois grimper jusqu’à « 1h40 ».
Pour ce même médecin, la dégradation des conditions de travail des urgentistes et la vague de départs qu’elle engendre sont le résultat de « 40 ans de politiques de santé basées sur une gestion industrielle de la médecine ». Et d’ajouter que les urgences sont devenues la solution de recours dans de nombreuses situations : généralistes ou spécialistes libéraux « débordés », cabinets fermés, délais de rendez-vous allongés, déserts médicaux… Les urgences se retrouvent condamnées « à faire les 3T : tout, tout le temps, tout de suite ».
+20% d'activité en dix ans
Le constat est similaire dans le public. Chef de service des urgences du CH de Laval, la Dr Caroline Brémaud a observé une hausse d’activité de 20 % en dix ans. Las, les effectifs n’ont pas véritablement augmenté en miroir, tandis que le recours à l’intérim est devenu plus difficile, voire « quasi inexistant ». Pourquoi ? Principalement en raison de la perte d’attractivité de son hôpital et de « la grande pénibilité du travail », si bien que les intérimaires préfèrent – à prix équivalent – aller travailler dans des établissements où la charge de travail est moindre.
Autres symptômes de la dégradation des conditions de travail : un « temps additionnel colossal », une pénurie de paramédicaux (il manquerait 37 infirmiers au CH de Laval), la perte de 60 lits en 16 mois… In fine, la prise en charge des patients est jugée « indigne » par l’urgentiste de Mayenne qui a vu cette semaine une dame de 95 ans rester 36 heures dans le couloir des urgences.
Nouveau Ségur
Comment sortir de cette impasse ? En lançant « un nouveau Ségur » pour « lisser les différences de statuts », notamment celui des ambulanciers ou des IADE, en réglant le problème récurrent des heures supplémentaires, en revoyant la « régulation de l’installation » des médecins libéraux, en revalorisant les soignants, en particulier ceux qui sont en début de carrière. Enfin, pour la Dr Brémaud, la mise en œuvre du service d'accès aux soins (SAS) et le renforcement du lien ville-hôpital font partie des solutions.
Pour agir en amont des urgences, le Pr Louis Soulat, chef de service des urgences du CHU de Rennes, considère lui aussi que le développement du SAS est la priorité pour gérer les appels urgents. Cette plateforme permettra aux médecins « d’organiser de vrais parcours de soins adaptés aux besoins de santé » des patients mais aussi de diminuer le nombre de passages aux urgences. Le médecin breton propose de réorganiser la PDS-A (permanence des soins ambulatoires) pour mieux réorienter l’activité vers des structures de soins non programmés (SNP).
Fermer des urgences la nuit ?
Le chef de service se demande également s’il faut maintenir ouvertes en nuit profonde toutes les structures d’urgence en France (il en existe plus de 600). L’idée serait plutôt de « fermer les structures à faible activité pour maintenir les SMUR qui assurent les soins d’urgence et renforcer en parallèle les structures qui accueillent les patients en nuit profonde », suggère le Pr Soulat. Et pour mieux organiser l’aval, il plaide pour la création de cellules de gestion des lits et l'application du principe du BJML (besoin journalier minimum en lits) permettant d'anticiper la saturation des urgences.
Enfin, pour améliorer l’attractivité de la médecine d'urgence, plusieurs mesures seraient justifiées à ses yeux dont la revalorisation des heures supplémentaires, du temps de travail additionnel ou de la permanence des soins. Sans oublier la reconnaissance de la pénibilité au travail. À 60 ans, le médecin déclare assumer « encore 8 à 10 gardes par mois. Ce n’est pas normal ».
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