44,9 millions d’euros, c’est l’ardoise qui aurait été laissée par les soins de patients venus d’Algérie à la seule Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) en 2023, selon le journal L’Opinion. Un contentieux qui empoisonne les relations entre les deux pays depuis des lustres. En 2017, cette dette s’élevait à 38 millions sur le total des hôpitaux français (AP-HP principalement mais aussi HCL ou encore hôpitaux marseillais).
Alors que la tension est montée de plusieurs crans entre les deux pays en janvier, deux ministres, Bruno Retailleau (Intérieur) et Gérald Darmanin (justice), mais aussi la présidente du conseil régional d’Île-de-France Valérie Pécresse, ont appelé à remettre en cause les accords bilatéraux permettant sous conditions aux Algériens de résider et de se faire soigner en France (encadré).
Les Algériens sont bien contents de venir se faire soigner en France pour avoir des expertises médicales qu’ils n’ont pas dans leur pays
Pr Philippe Juvin, député LR
Agacé, le Pr Philippe Juvin, député LR, est favorable à une remise à plat des accords. « Un double discours est porté par l’élite algérienne. La France est définie comme le grand Satan et serait responsable de tout alors que l’Algérie est indépendante depuis 60 ans. En même temps, certains Algériens sont bien contents de venir se faire soigner en France quand ils demandent des expertises médicales qu’ils n’ont pas dans leur pays. »
Dette publique algérienne : 2,58 millions d’euros
Mais de quoi parle-t-on ? Les créances françaises vis-à-vis des États étrangers sont traitées par la Cnam via le Centre national des soins à l’étranger (CNSE), localisé à la caisse primaire du Morbihan et s’élèvent à quelque 800 millions d’euros par an. Toutefois, 99 % de ces créances concernent les États de l’Union européenne/Espace économique européen/Suisse et 44 % d’entre elles relèvent de soins effectués à l’hôpital. Ces créances s’inscrivent dans le cadre d’accords internationaux (ou de conventions bilatérales) et sont solvabilisées, même si le cycle de remboursement peut atteindre trois ans.
Concernant spécifiquement les créances dues par l’Algérie à ce titre, le montant restant à payer était d’environ 2,58 millions d’euros au 30 juin 2024 (sur un montant total de créances présentées par la France de l’ordre de 150 millions entre 2007 et 2023), « ce qui témoigne d’un taux de recouvrement assez satisfaisant », commente la Direction de la Sécurité sociale (DSS, ministère).
Créances hospitalières : plus de 150 millions d’euros par an
Les dettes privées, ou créances hospitalières, correspondent, elles, aux factures laissées, en dehors de tout cadre conventionnel, dans des établissements de santé français par les personnes de nationalité étrangère de passage, qui ne résident pas en France et ne sont pas affiliées à la Sécurité sociale française.
Entre 2016 et 2021, le montant annuel moyen de ces créances a été estimé à 159 millions d’euros, dont 75 % concernent l’AP-HP. Néanmoins, « les systèmes d’information des établissements de santé ne permettent pas aujourd’hui de recueillir systématiquement des données par pays d’assurance sociale », précise la DSS. Il n’est donc pas simple d’identifier spécifiquement la dette algérienne à ce titre.
Déjà des mesures d’encadrement
Alors que certains responsables politiques réclament de serrer la vis à tous les étages vis-à-vis de l’Algérie, y compris sur la santé, le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), constate que les contraintes concernant les soins d’Algériens en visite en France ont déjà été renforcées. « Si des proches de familles venant d’Algérie ne disposent pas d’assurance privée pour couvrir leurs frais et si elles tombent malades en France, l’État français demande aux familles qui les accueillent de régler la note », assure le syndicaliste.
Un rapport publié en 2017, dont le rapporteur était le Dr Michel Fanget, alors député Modem, décrit par ailleurs le protocole de 2016 entre Alger et Paris, qui vise à organiser l’accueil de patients algériens pour des soins programmés en France. « Cet accord ne règle pas tout mais contribue incontestablement à inscrire l’accueil des patients algériens par les hôpitaux français dans un cadre administratif mieux contrôlé et plus sûr financièrement », citait le rapporteur. Son article 7 met à la charge de la Caisse nationale d’Algérie le rapatriement de patients ou leur dépouille, mais aussi les soins prodigués avant ce rapatriement, après le rejet d’une demande de prolongation de soins. Toutefois, aucune évaluation de ce protocole n’aurait été publiée.
De quels accords parle-t-on ?
La législation française prévoit que toute personne qui travaille ou réside en France de manière stable et régulière a droit à la prise en charge par l’Assurance-maladie de ses frais de santé à titre personnel et de manière continue tout au long de sa vie (principe de la protection universelle).
Il existe par ailleurs divers accords pour les ressortissants algériens en France.
Concernant l’accès au séjour et le regroupement familial pour les Algériens, leurs modalités ont été facilitées par l’accord du 27 décembre 1968 octroyant aux Algériens un régime spécifique, notamment l’accès plus rapide que des ressortissants d’autres pays à la délivrance (après 3 ans de séjour contre 5 dans le droit commun) d’un titre de séjour valable dix ans, sous conditions de ressources suffisantes. Les membres de leur famille admis au séjour en France au titre du regroupement familial reçoivent un certificat de résidence valable dix ans dès leur arrivée sur le territoire français si l'accueillant est porteur d'un tel titre de séjour.
Sur les soins, la France a signé avec 42 États des conventions bilatérales de Sécurité sociale. Celle signée entre la France et l’Algérie le 1er octobre 1980 (contestée par certains politiques) contient des dispositions de coordination pour toutes les branches d’assurance (maladie, famille, accidents du travail et retraite). Cette convention de 80 ne permet pas aux ressortissants algériens de se faire soigner gratuitement, mais prévoit des mécanismes facilitant la continuité des droits en cas de mobilité des travailleurs salariés, qu’ils soient Français ou Algériens, par exemple pour les soins de santé à leurs familles.
Pour les dignitaires diplomatiques en revanche, l’accord franco-algérien du 16 décembre 2013 permet aux titulaires d’un passeport diplomatique ou de service de se faire exempter de visas de court séjour et d’accéder sans visa d’entrée au territoire français, et donc d’accéder au système de soin français. Théoriquement, « ce texte n’octroie aucun privilège en matière de Sécurité sociale », ajoute la DSS.
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