La situation financière de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP, 38 établissements) est plus préoccupante que jamais. Au point que le plus grand CHU d'Europe a décidé de « recaler une trajectoire devenue insoutenable » en raison d’un « niveau inédit d’incertitudes et de contraintes exogènes » : inflation galopante, surcoûts liés à la crise sanitaire, mesures salariales (Ségur, dégel du point d’indice, plan Braun). L’Assistance publique prône aujourd'hui « un étalement plus réaliste du retour à l’équilibre sur les cinq ans à venir », à l'horizon 2027.
C’est ce qui ressort de son état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) et de son plan global de financement pluriannuel (PGFP) 2023-2027, présentés le 15 février en conseil de surveillance. En juillet encore, le budget prévisionnel du CHU prévoyait un déficit contenu à 228 millions d’euros pour l’exercice 2022. Mais en raison de « charges exceptionnelles » et d'une activité en berne, l’AP-HP table désormais sur « un déficit majoré à hauteur de 391 millions d’euros ». Les pertes s'élevaient déjà à 246 millions en 2020 et 230 millions en 2021. Pire, pour 2023, le CHU anticipe un déficit de 406 millions d'euros sur son budget principal, nouveau record.
Charges exceptionnelles
Lueur d’espoir : la campagne estivale de recrutement des infirmiers diplômés d’État (IDE) a porté ses fruits : « l’écart à 2021 s’est réduit de -1 062 à -872 ETP (équivalents temps plein, NDLR) entre juin et décembre », malgré la poursuite des départs en fin d’année, détaille le CHU. L’activité est légèrement repartie en 2022, mais elle reste insuffisante pour « retrouver le socle de recettes d’avant la crise ».
Autre problème de taille pour l’AP-HP : certaines charges exceptionnelles de 2022 seront à peine compensées, à l’image des mesures estivales et hivernales du plan Braun. Le Ségur a également augmenté les charges salariales et creusé le déficit, à hauteur de -15 millions d’euros en 2021 puis - 47 millions d’euros en 2022. D’autre part, les crédits alloués pour la crise sanitaire (53 millions d’euros) n’ont pas compensé les 88 millions de surcoûts constatés en 2022, soit un reste à charge de 35 millions d’euros pour l’AP-HP. À noter aussi que la hausse des charges d'intérim non médical a contribué à accroître les pertes.
Revel à la reconquête de l'attractivité
Pour cette année, le CHU francilien doit faire face à « un niveau inédit d’incertitudes et de contraintes exogènes qui handicapent sa trajectoire de redressement ». L’inflation entraînera une hausse massive de ses charges en 2023 (215 millions d’euros). La facture énergétique devrait bondir de 102 millions d’euros (+130 %), malgré la mise en œuvre du bouclier tarifaire et du dispositif « amortisseur électricité ». La sortie de la garantie de financement (remplacée par un dispositif transitoire) et les réformes en cours (SSR, ticket modérateur à l’hôpital) devraient aussi impacter le budget en 2023.
Dans ce contexte, le scénario d’une trajectoire qui serait pilotée « au fil de l’eau » apparaît « insoutenable » car cela conduirait l’AP-HP à une « impasse financière massive ». Le plan pluriannuel d’investissement ne pourrait être maintenu, sauf si l'AP double son taux d’endettement, pour atteindre 6,2 milliards en 2027 (soit 64 % en 2027).
Pour sortir la tête de l’eau, la stratégie de « rebond » du CHU, offensive, s’articule autour du plan « 30 leviers pour agir » de son directeur général, Nicolas Revel. Priorité absolue est donnée aux enjeux d’attractivité et de fidélisation des professionnels, ce qui passe par une amélioration des conditions de travail et de logement des personnels hospitaliers. Objectif : conforter et reconstituer les équipes pour accélérer la reprise de l’activité. L'AP mettra en place aussi de « nouveaux mécanismes de retour financier » en faveur des services comme le doublement de l’intéressement recherche en 2023 ou l’introduction d’un intéressement à l’amélioration de la performance médico-économique.
Le CHU projette par ailleurs 111 millions d’euros d’économies en 2023, en activant les leviers d'une « juste performance » (43 millions sur le codage, 29 millions sur la facturation et le recouvrement, 16 millions sur l’amélioration des parcours de soins, 11 millions sur la juste prescription et 12 millions sur le moindre recours à l’intérim).
Grâce à ces efforts, le CHU espère maintenir ses ambitions en investissement, à la fois sur « les grands projets déjà validés mais aussi la préservation des investissements courants indispensables pour le quotidien ».
Soutien pluriannuel de l'Etat, la CME convaincue
Le nouveau DG peut compter pour l'instant sur le soutien de la communauté médicale. Cette stratégie a du moins convaincu la commission médicale d’établissement (CME) qui a, une fois n’est pas coutume, approuvé ce budget prévisionnel et le programme 2023-2027 (55 voix pour, 4 contre, 4 abstentions).
Contacté par « Le Quotidien », le Dr Christophe Trivalle, membre de la CME, estime que les médecins ont des « a priori favorables » vis-à-vis de Nicolas Revel qui ferait preuve de « plus de dialogue et d’ouverture » que son prédécesseur, Martin Hirsch. Selon lui, le DG de l’AP-HP a notamment gagné la confiance des médecins en « soutirant 250 millions à l’État en 2023 (l’aide représentant au total 750 millions sur la période 2023-2027, NDLR) pour accompagner notre retour à l’équilibre ». Autres avancées : une enveloppe de 140 millions d’euros pour moderniser les infrastructures informatiques et renforcer le plan du CHU en faveur du logement soignant.
Si les prévisions de l’AP-HP se révèlent exactes, le déficit devrait se réduire chaque année à partir de 2024, pour être contenu à 36 millions d'euros en 2027.
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