LE QUOTIDIEN : Dans quelle mesure l'architecture de l'AP-HP en 2020 est-elle différente de celle d'il y a 10, 20 ou 40 ans ?
FRANÇOIS CRÉMIEUX : Nous avons dû prendre en considération deux caractéristiques : l'évolution de la technicité dans les hôpitaux et la réduction des durées de séjour. Les patients passent de moins en moins de temps dans les hôpitaux alors même qu'ils peuvent s’y rendre plus souvent, pour des maladies plus graves et en phase très aiguë. Notre enjeu est d'adapter à cette réalité l'architecture hospitalière et au-delà, le lien entre l'hôpital et son environnement. Cette nouvelle donne a des conséquences très concrètes sur l'organisation des espaces, l'accueil, la durée de circulation dans les couloirs, la préparation de l'arrivée des patients – dès la veille grâce aux mails, aux applis et aux SMS. Les patients venant pour des durées courtes, on ne peut pas se permettre de leur faire perdre plusieurs heures.
En quoi le Covid-19 a changé la conception des espaces de soin ?
Cette épidémie nous confirme la nécessité d’hôpitaux avec davantage de chambres seules, d'organisations facilitantes du respect des règles d’hygiène hospitalières et des gestes barrières. Nous devons être prêts à faire de manière régulière ce que nous avons fait il y a quatre mois, c'est-à-dire transformer de A à Z un hôpital. Les hôpitaux doivent désormais être évolutifs. En 15 jours, ils doivent être capables de se réorganiser entièrement, de transformer une aile, un étage, une unité en autre chose.
La difficulté réside en fait dans la commande à nos architectes, qui peut être contradictoire : ils doivent créer des espaces spécifiques, adaptés à chaque malade et à chaque équipe. Quand on entre dans un service d'oncologie, ce n'est pas pour se sentir comme dans une chambre de réanimation ou dans un service d’ophtalmologie. Mais, dans le même temps, ces espaces doivent être modulables rapidement.
Quel est l'impact sur les chantiers en cours, notamment l'hôpital Grand Paris Nord prévu pour 2028 ?
Le Covid a confirmé certaines hypothèses comme 100 % de chambres seules ou un nombre de lits de réanimation plus important. La question du nombre global de lits dans le nord de Paris devra être revue plus largement à l’échelle du territoire. Le concours d'architecture est maintenu, mais la date de clôture de remise de projet a été reportée de juin au 15 septembre. Notre objectif est de tenir le calendrier de la reconstruction en raison de l'urgence d’un bâtiment neuf au regard de l'obsolescence des hôpitaux Beaujon et Bichat, dont les nombreuses chambres doubles sont inadaptées à des situations de crise. Mais le programme du futur hôpital devra être adapté aux enseignements de l'épidémie du Covid.
Quel visage aura l'AP-HP demain ?
Celui d'un hôpital numérique, pas nécessairement de grande taille, mais avec 100 % de chambres seules, éventuellement un peu plus grandes pour être dédoublées en cas d'afflux de patients non infectieux ou transformées plus facilement en chambres de réanimation. Outre Bichat et Beaujon, nous devons adapter nos organisations dans d’autres hôpitaux comme Pitié-Salpêtrière, Bicêtre et Avicenne, fortement pourvus en chambres doubles.
L'AP-HP sera aussi un CHU où travailleront des personnels médicaux et paramédicaux en mesure de renforcer des équipes en cas de crise. Avec par exemple des « doubles compétences », que de nombreux professionnels ont et qu’il nous faut mieux connaître, mieux valoriser et être prêts à mieux mobiliser en cas de crise.
Il faudra enfin aménager autrement l'amont et l'aval. L'enjeu pour l'AP-HP de demain n'est donc pas qu'intra-hospitalier, il réside aussi dans notre contribution à la meilleure organisation du parcours de vie et de soin du malade. Les débats sur l’évolution de la tarification à l’activité (T2A) ou les réflexions sur les exercices professionnels partagés à la fois à l’hôpital et en ville doivent nous aider.
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