À Lille comme à Rennes, le constat est le même : l'utilisation de produits hydro-alcooliques a doublé dans les CHU depuis le début de l'épidémie. Dès les premières semaines, certains établissements ont été dépassés par la demande des soignants.
Très vite, les stocks ont cessé de suffire. « Les premiers jours c'était la folie, notre consommation a été multipliée par cinq ou par dix », raconte Vincent Gicquel, responsable du pôle pharmacie au CHU de Rennes. Manque de pot, la crise du Covid-19 éclate au moment ou l'un des principaux fournisseurs français est en rupture, témoignent plusieurs établissements.
En moins de deux semaines, toutes les solutions ont été envisagées face au risque de pénurie. Comme beaucoup d'hôpitaux, celui de Rennes a, dès la publication de l'arrêté ministériel ad hoc, commencé à fabriquer lui-même ses solutions hydroalcooliques (SHA). Grâce au renfort des étudiants en pharmacie, le CHU de Lille en a produit rapidement plus de 30 000 litres. « Cela nous permet, en plus de répondre à nos besoins, d'alimenter une trentaine d'autres établissements de santé et une cinquantaine d'officines pharmaceutiques de ville », se félicite le Pr Pascal Odou, responsable de la pharmacie.
L'industrie cosmétique a été autorisée à produire des SHA. À Rennes, le CHU a reçu gratuitement 9 000 flacons de la part de L'Oréal et Yves Rocher. « Une vraie bouffée d'air qui nous a permis d'aider les EHPAD du secteur », salue Vincent Gicquel. Désormais, l'établissement breton a de quoi tenir bon pendant plusieurs semaines.
Indicateur approximatif
Mais en période de crise comme d'ordinaire, la gestion des stocks de solutions hydro-alcooliques peut relever du casse-tête chinois pour les hôpitaux. Depuis 2006, la Haute autorité de santé (HAS) mesure pour chaque établissement un indicateur de consommation des SHA (ICSHA), marqueur indirect de la mise en œuvre effective de l’hygiène des mains. Celui-ci fixe, en fonction de l'activité, un volume attendu de consommation.
Jugé « approximatif » par le Dr Laetitia May-Michelangeli, chef du service évaluation et outils pour la qualité et la sécurité des soins à la HAS, il a été retiré du dispositif d'incitation financière à l'amélioration de la qualité (IFAQ) pour l'exercice 2019. « Cet indicateur fixe un nombre théorique minimum de frictions à respecter par patient et en fonction de l'activité, aujourd'hui il ne tient plus la route il faut le retravailler », explique la responsable.
Ce flou relatif conduit à des pratiques variables. Au CHU de Lille, « les exigences ont été fixées à un niveau supérieur à la moyenne établie par la HAS afin de maintenir nos pratiques », assure le Dr Noureddine Loukili du service de gestion du risque infectieux. À Rennes en revanche, Vincent Gicquel assure ne pas tenir compte de l'indicateur « même si on est généralement dans les clous ». Il passe ses commandes « en moyenne tous les quinze jours au regard de la consommation réelle ».
Tarte à la crème
Mais certains praticiens jugent très exagérés les volumes « prescrits » par la HAS. « Je ne connais pas de confrère qui base ses commandes sur cet indicateur sinon il croulerait sous les bidons de solutions hydro-alcooliques », s'amuse le pharmacien d'un petit établissement de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Pour Jacques Trévidic, président de l'intersyndicale Action praticiens hôpital (APH) et pharmacien hospitalier à Caudan (Morbihan), l'ICSHA est « excessif ». « C'est une tarte à la crème pour dénoncer la non-pertinence de certains indicateurs », s'agace le responsable syndical.
Certains établissements pourraient même être poussés à gaspiller pour entrer dans les clous. « Il suffit de commander le bon volume de produits pour valider l'indicateur mais si les professionnels ne l'utilisent pas ça n'a aucun sens », pointe le Dr Laurence Marsal, directrice hygiène et gestion des risques du groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon. Une pratique répandue ? « Tout le monde dit non mais bon… », confie la pneumologue.
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