LE QUOTIDIEN : Vous avez été convoqué à la barre, en qualité de partie civile, le 2 avril, et vous avez assisté pendant trois jours au procès Adida. Qu’est-ce que vous avez appris que vous ne saviez pas déjà ?
FRANçOIS CRémieux : J’ai été très marqué, même dans ma vie d’homme, par le fait d’avoir entendu les quatre victimes, ces quatre jeunes femmes. La force de leur témoignage, leur courage, l’intelligence de leur discours et leur sororité dans la douleur, c’est d’abord ce que je retiens de ce procès. Cela force l’admiration. J’ai aussi rencontré le Dr Adida pour la première fois et j’ai donc pu appréhender l’accusé – quand je suis arrivé (à la direction générale de l’AP-HM, NDLR), en juin 2021, il était déjà incarcéré. Au-delà de la responsabilité juridique de l’AP-HM dans cette affaire, que l’on peut discuter, je crois que l’AP-HM a une responsabilité morale dans ce qui est arrivé. J’ai voulu être là pour écouter les victimes et montrer que l’institution n’est pas absente, qu’il n’y a pas d’échappatoire.
Quel est l’impact de l’affaire Adida sur le pôle psychiatrie de l’AP-HM ?
C’est une déflagration. Il y a de la sidération devant la gravité des faits et l’ampleur des dysfonctionnements, de la colère contre le fait qu’on a laissé faire, la direction, les chefs de service, et parfois, une part de culpabilité chez ceux qui étaient là à l’époque. Pour l’AP-HM, c’est une affaire majeure. La médiatisation du procès va se poursuivre dans les semaines qui viennent et cela me semble absolument nécessaire. On a besoin d’une prise de conscience collective de l’ampleur et de la gravité de ce qui s’est passé à Sainte-Marguerite.
“On va regrouper l’ensemble de la psychiatrie adulte sous l’autorité d’un seul département
Les Prs Naudin et Lançon* ont témoigné au tribunal. Devant la cour, leur discours était confus, voire inaudible. Tous deux sont partis rapidement après leur déposition. Ils étaient chefs de service au moment des faits, qu’en est-il aujourd’hui ?
En raison de la situation actuelle et à la suite du rapport qui m’a été remis dans le cadre du dispositif d’écoute mis en œuvre au sein du pôle psychiatrie, j’ai annoncé au conseil de surveillance la suspension du renouvellement des chefferies de service du pôle. On va regrouper l’ensemble de la psychiatrie adulte sous l’autorité d’un seul département.
Avec le président de la CME [commission médicale d’établissement, NDLR] de l’AP-HM, nous avons confié cette mission au Pr Michel Cermolacce en qui nous avons toute confiance. Nous allons ensuite promouvoir des médecins pour être chefs d’équipe, ils ne seront plus chefs de service mais dans notre jargon, responsables d’unité fonctionnelle. J’espère que cette décision, en partie symbolique, sera aussi efficace pour rétablir un mode de fonctionnement à l’AP qui soit normal, plus collégial et confraternel.
À la barre, Gilles Riou, psychologue et fondateur du cabinet Egidio, chargé du dispositif d’écoute, a révélé des éléments du rapport confidentiel, notamment des « violences volontaires sur des patients », des « violences sexistes et sexuelles entre professionnel.les » et des « doses médicamenteuses prescrites anormales voire dangereuses ». Il souligne que « les conditions que l’on peut observer au pôle psychiatrie, surtout dans la partie universitaire, présentent une analogie forte avec celles dans lesquelles exerçait le Dr Adida ». Vous confirmez ?
Tous ces faits, on les a partagés lors de plusieurs réunions de restitution devant des internes, médecins et paramédicaux, 160 professionnels au total, et je les ai présentés au conseil de surveillance. Le dispositif d’écoute révèle un certain nombre de dysfonctionnements dans la psychiatrie à Marseille.
Encore aujourd’hui, la mise sur un piédestal du génie supposé des uns ou des autres est délétère, tout comme l’absence de communication au sein de certaines équipes ou le manque de politique de prescription médicamenteuse clairement protocolisée, discutée de manière collégiale. Parmi les 68 personnes qui ont eu un entretien, certaines dénoncent des faits graves. J’ai donc diligenté quatre enquêtes administratives qui ont été confiées aux directrices des affaires juridiques et médicales, les rapports doivent être rendus dans les deux mois. Sur la base de ces enquêtes, j’assumerai les décisions opportunes.
L’affaire Adida, c’est aussi une décennie d’alertes, de signalements, de plaintes et de multiples procédures administratives, disciplinaires et judiciaires. En vain et en dépit de la dangerosité du psychiatre, connue de tous. Quels enseignements en tirez-vous ?
Le Conseil de l’Ordre et l’AP-HM, en tant qu’institutions, me semblent avoir formellement fait ce qu’elles devaient faire quand elles le pouvaient. Et néanmoins, et c’est ce que j’ai dit à la barre, cela n’a pas suffi. Je considère qu’il y a eu des défaillances de la part des chefs de service, ce qui engage aussi ma responsabilité. Ces derniers étaient au plus près du Dr Adida et donc capables de voir qu’il était gravement malade.
En décembre 2021, j’ai fermé l’unité Cassiopée [secteur fermé, dont le Dr Adida a été nommé responsable en 2014, ndlr] en raison de dysfonctionnements. Pour l’avenir, je me considère responsable avec le président de la CME de la nouvelle gouvernance de la psychiatrie et de la réorganisation des soins.
*Ils sont respectivement vice-président de la commission médicale d’établissement (CME) de Sainte-Marguerite et Salvator, et chargé de l’enseignement des internes.
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