ATTENDUE autant que redoutée par la profession, la réforme des prestations complémentaires de vieillesse des médecins libéraux (ou régime ASV qui représente près de 40 % de la retraite totale) a été publiée au « Journal Officiel », après plusieurs mois d’atermoiements et d’ultimes négociations discrètes.
Le décret gouvernemental qui détaille les nouveaux paramètres visant à assurer « l’équilibre financier » du régime est sans surprise (cotisations en hausse, pensions rabotées), sinon que l’entrée en vigueur de la réforme interviendra au 1er janvier 2012 - et non six mois plus tard. Objectif : sauver l’ASV dont la faillite était programmée pour 2013/2014.
En pratique, les cotisations (toujours prises en charge pour les deux tiers par l’assurance-maladie s’agissant des médecins de secteur I) seront progressivement relevées d’ici à 2017. Premier volet : la part dite forfaitaire passera de 4 140 euros aujourd’hui à 4 850 euros en cinq ans : 4 300 euros pour 2012,
4 400 euros pour l’exercice 2013, 4 500 euros pour 2014, 4 650 euros pour 2015, 4 850 euros pour 2016. À partir de 2017, le montant de cette cotisation forfaitaire sera indexé sur le revenu, précise le décret. Deuxième volet : une cotisation d’« ajustement » appelée, elle aussi, à grimper dans les cinq prochaines années. Elle commencera à 0,25 % du revenu en 2012 (soit 212 euros pour un praticien ayant un bénéfice annuel de 85 000 euros) pour atteindre 2,80 % en 2017 (soit 2 724 euros euros dans le même exemple sur la base d’une progression du revenu d’environ 3 % par an). Cette cotisation d’ajustement ouvrira droit à l’attribution de points supplémentaires de retraite, dans la limite de neuf points par an. Là encore, la participation des caisses se fera aux deux tiers pour les médecins de secteur I, en vertu du « deal » conventionnel.
Pour la CSMF, le scénario du pire est déjoué, MG France se félicite.
Les médecins concernés vont faire leurs calculs. Pour un praticien au revenu annuel de 85 000 euros, évoluant de 2,8 % par an sur la période, la cotisation ASV totale (part forfaitaire et proportionnelle) s’élèvera à 4 512 euros en 2012, puis 5 184 euros en 2013, 5 843 en 2014, 6 583 euros en 2015, 7 310 euros en 2016 et 7710 euros en 2017 ! Au final, la hausse des cotisations dépassera allègrement 70 %... La facture est salée pour l’assurance-maladie (environ 190 millions d’euros en 2017) mais aussi pour la profession, et particulièrement pour les médecins de secteur II qui doivent supportent l’intégralité de la hausse.
Côté prestations, la valeur du point suivra une courbe inverse, également progressive, mais sur une période plus courte (trois ans). Pour les retraités, elle passera, en cinq étapes, de 15,55 euros au premier semestre de 2012 à 14 euros en 2015 (-10 % environ). Les bénéficiaires de pensions de réversion conservent leurs 300 premiers points à 15,55 euros. Pour les pensions liquidées après le 1er janvier 2011, la baisse de la valeur du point est plus radicale : une étape la fait chuter à 13 euros dès le second semestre de 2012.
Devant l’ardoise, les réactions de la profession sont contrastées mais le pragmatisme domine dès lors que l’ASV, pilier du pacte conventionnel et de la retraite par répartition, semble préservé. MG France « se félicite » de la pérennisation du régime ASV et des principes ayant guidé le décret : « maintien d’un haut niveau de retraite, maintien de l’âge de départ à la retraite, solidarité intergénérationnelle, équité dans la répartition des efforts ». Pour ce syndicat, la résolution du dossier ASV était une condition du maintien d’un secteur à honoraires opposables. « Le scénario du pire est déjoué », analyse aussi la CSMF qui parle d’ « opération de sauvetage de l’ASV ». Et de rappeler que, si rien n’avait été fait, ce régime aurait été en faillite « dès le premier trimestre 2014 ». Sans sous-estimer les efforts, le syndicat affirme qu’ils sont « équitablement répartis entre les actifs et les retraités, tout en préservant les conjoints survivants ». Au Syndicat des médecins libéraux (SML) aussi, le soulagement domine. « Il n’y a pas de mauvaise surprise, résume le Dr Roger Rua, secrétaire général. Les chiffres étaient connus. Soit on sauvait la répartition, soit elle était enterrée. Nous avons un cap de quelques années difficiles à passer d’où les mesures un peu douloureuses ».
Contrat de dupes ?
Mais quelques voix sont beaucoup plus critiques. La Fédération des médecins de France (FMF), qui défendait une option radicale (la fermeture de ce régime conventionnel avec maintien des droits acquis) estime que la réforme ne règle rien. « Les retraités vont morfler, les médecins remplaçants aussi, l’ASV n’est pas pérennisée, rendez-vous dans trois ans ! », lance le Dr Jean-Paul Hamon, chef de file de la FMF qui ironise au sujet d’un système « qui garantit le nombre de points mais pas leur valeur ».
Quant à la CARMF, elle a exprimé à Xavier Bertrand son « profond désaccord » avec le décret publié.Stigmatisant la déjà forte baisse des retraites des médecins conventionnés (25 % en dix ans), le président de la CARMF Gérard Maudrux juge que l’aggravation de cette situation transforme l’exercice sous convention en « contrat de dupes ». S’agissant de la hausse des cotisations, la CARMF s’inquiète du sort des praticiens à bas revenus (dont les remplaçants en zone rurale).
Reste à savoir comment la réforme sera perçue sur le terrain. Des milliers de médecins préparent leur retraite, le sujet reste très sensible. Surtout, combien de temps la valeur du point sera-t-elle gelée ensuite ? Jusqu’en 2018, voire 2025 comme le calcule la CARMF ? Le réveil serait encore plus douloureux pour les retraités. Le Dr Yves Decalf, expert du dossier à la CSMF, prévient que la clause de revoyure dès 2015 (puis tous les cinq ans) sera une étape clé pour corriger le tir au besoin. Pour l’instant, admet-il, « une réforme qui consiste à augmenter les cotisations et à baisser les prestations n’est jamais agréable ».
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