Plus grand CHU d'Europe, l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) vit à partir d'aujourd'hui et jusqu'à dimanche le premier tour des élections pour le renouvellement de sa commission médicale d'établissement (CME).
Arrêtée le 23 septembre, la liste des 134 médecins candidats (pour 64 sièges, lire encadré) contient le nom du futur président du « parlement médical » du CHU francilien. En compétition, trois PU-PH briguent la succession du Pr Noël Garabédian, ORL à Necker-Enfants malades : les Prs Bernard Granger, Michel Lejoyeux et Rémi Salomon. Deux psychiatres et un néphrologue.
« Atypique », « insolite », « compliquée » : la communauté médicale observe avec curiosité cette élection qui sort du lot. Unique candidat il y a quatre ans, le Pr Garabédian l'avait naturellement remporté avec 92 % des voix.
Mais pour 2020, la donne est différente. Annoncée il y a dix mois, la candidature des deux psychiatres traduit la division au sein du corps médical. Quant au Pr Salomon – chef du service de néphrologie pédiatrique à Necker –, il a décidé de sortir du bois en avril, encouragé par une partie de la CME sortante, peu encline à l'idée d'être présidée par un psychiatre pour des questions de « représentativité ».
Hémorragie médicale
Ce suffrage est également très politique, au regard des transformations radicales que vit l'AP-HP dans un contexte économique contraint. « Cette élection intéresse davantage les collègues que les précédentes, juge le Pr Sadek Beloucif, président du SNAM-HP et candidat à la CME. La refonte du CHU avec la création des départements médico-universitaires [DMU, ex-pôles, NDLR], la concentration des groupements hospitaliers et l'arrivée de trois DG adjoints font de la CME un lieu stratégique. » « De surcroît, la pénurie médicale [en anesthésie, en orthopédie ou aux urgences, NDLR] inquiète de plus en plus », explique le chef du service d'anesthésie-réanimation à Avicenne.
Sur le papier, les trois candidats veulent redonner ses lettres de noblesse à l'AP-HP, fleuron du service public hospitalier. Autres combats communs : valoriser la recherche clinique et renforcer la gouvernance médicale, rendue plus autonome. Avec des programmes similaires, le scrutin devrait plutôt se jouer sur leur légitimité hospitalo-universitaire et leur capacité à peser face à l'administration pour défendre les soignants.
Sur le premier point, le Pr Lejoyeux, 58 ans, fait de la publication de ses travaux de recherche un argument de campagne pour séduire les PU-PH. « La recherche doit s'accompagner d'un retour sur investissement, confie-t-il. C'est simple : tout article publié doit se traduire en nouveaux emplois et crédits. » Sur le second, il nous confiait en mai dernier ses inquiétudes : des soignants qui subissent « une charge mentale considérable » et un CHU « de moins en moins intouchable ». Si son réseau est clairement un atout (il est président du Syndicat des médecins des hôpitaux de Paris), son exercice multi-casquettes à l'AP-HP et en dehors – il est chef de service à Bichat et à Maison Blanche par délégation – pourrait lui porter préjudice.
Tenir les rênes... et se confronter au DG
Parfois considéré comme « l'intello de gauche » du trio (il fait partie du Mouvement de défense de l'hôpital public, comme le Pr Granger), le Pr Salomon est salué pour son implication au sein de la commission vie hospitalière de la CME, dont l'objectif est la qualité de vie au travail et la réduction des conflits médicaux. « Les départs de PU-PH sont une réalité qu'on ne peut nier, insiste-t-il. À l'omerta et l'inaction, j'oppose une stratégie fondée sur une alliance avec les doyens pour redonner à l'AP-HP son attractivité. » Point négatif pour le néphrologue de 56 ans : son relatif déficit de notoriété.
La renommée est au contraire l'atout du Pr Granger, médiatisé pour avoir cofondé au printemps 2016 l'association nationale Jean-Louis Mégnien de lutte contre le harcèlement moral et la maltraitance à l’hôpital, et connu en interne pour ses longues newsletters abécédaires et ses prises de position épistolaires. Parfois décrié pour son côté « agitateur » et son activité libérale, le psychiatre de 62 ans fait de son caractère frondeur un rempart à « toute forme de connivence entre la CME et la direction générale ».
Quel sera le gagnant ? Dans les couloirs des 39 hôpitaux de l'AP-HP, les pronostics vont bon train. Un nom revient dans les conversations : Martin Hirsch, le DG du CHU « Celui qui saura se confronter au directeur général de façon constructive l'emportera, pronostique le Pr Nicolas Thiounn, urologue à l'Hôpital européen Georges-Pompidou et membre de la CME. Il nous faut quelqu'un avec de la bouteille, qui tienne bien les rênes dans la tempête et qui, surtout, ait le sens de l'intérêt commun. »
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