Souche moins virulente, population touchée plus jeune… l’épidémie de Covid-19 est-elle en train de changer de visage pour devenir un peu moins grave ? Alors que le nombre de patients hospitalisés en réanimation reste relativement bas au regard des cas recensés, la question est posée. Mais peu d’arguments tangibles plaident dans ce sens et pour le moment, seule l’amélioration de la prise en charge des formes sévères semble avoir réellement permis d’infléchir la gravité de la maladie.
Y aura-t-il moins de cas graves de Covid-19 cet automne qu’il n’y en a eu au printemps ? Après un premier tour de piste tonitruant, le SARS-CoV-2 est-il en train de « rentrer dans le rang » ? Depuis cet été, la question fait débat et les avis divergent.
Une chose est sûre en revanche : depuis la fin de l’été, la circulation du virus s’est accélérée, avec une progression exponentielle jugée « préoccupante » par Santé publique France.
Une accélération de l'épidémie...
Au cours de la première semaine de septembre, près de 50 000 nouvelles infections au SARS-CoV-2 ont ainsi été comptabilisées contre moins de 10 000 début août. Une augmentation de l’incidence qui ne relève pas seulement d’un recours massif au dépistage puisqu’en un mois, le nombre de nouveaux cas recensés a augmenté deux fois plus rapidement que celui de tests réalisés, avec un taux de positivité de 5,2 % contre 4,4 % la semaine précédente.
Si ces chiffres ont conduit Jean Castex à alerter à plusieurs reprises quant à la « dégradation manifeste » de la situation épidémiologique du pays, ils ne semblent pas, pour le moment, se traduire ni par un afflux de cas graves dans les hôpitaux, ni par un rebond de la mortalité. « Comparé au mois de mars, on a l'impression que c’est le calme plat », témoigne le Pr Pierre Tattevin, infectiologue à Rennes et président de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf). Même ressenti en ville : « Aucun des médecins de mon cabinet n’a eu à appeler le Samu pour un cas de Covid-19 depuis le printemps », affirme le Dr Laurent Delesalle, médecin généraliste dans le département de la Seine-Saint-Denis pourtant très touché par l’épidémie.
… mais peu de cas graves
Au niveau national, « le nombre journalier de cas en cours d’hospitalisation en réanimation se maintient en dessous de 500 patients depuis le 10 juillet », indique Santé publique France dans son point épidémiologique du 10 septembre. L’agence note toutefois un léger rebond des admissions quotidiennes et signale une « augmentation des nouvelles hospitalisations dans toutes les régions (excepté en Grand Est) et notamment en Provence-Alpes-Côte d’Azur », mais sans commune mesure avec les chiffres de mars ou d’avril.
Un constat qui, pour le Pr Tattevin, tient avant tout à la dynamique de l’épidémie, qui reste probablement pour le moment très en dessous de ce qui s’est passé au printemps. Le décalage entre le moment de l’infection et son impact en termes de morbimortalité (trois semaines environ) a aussi été avancé pour expliquer ce phénomène. En d’autres termes, l’augmentation des hospitalisations, des admissions en réanimatio et de la mortalité pourrait n’être qu’une question de temps, comme l’a laissé entendre le Premier ministre.
Des sujets touchés plus jeunes
Et ce, même si le virus circule principalement chez les jeunes, peu concernés par les formes graves de Covid-19. Début septembre, le taux d’incidence était de 27 chez les 0-14 ans, 123 chez les 15-44 ans, 54 chez les 45-64 ans, contre seulement 28 chez les 65-74 ans et chez les 75 ans et plus. Mais « comme le virus circule de plus en plus, la probabilité que les sujets âgés ou fragiles le rencontrent augmente mathématiquement, même si ces derniers se protègent mieux que les jeunes », avertit le Pr Tattevin. Il n’y pas de « ligne Maginot » entre les âges, a insisté pour sa part Jean Castex, lors d’une récente intervention.
Si le nombre de personnes admises à l’hôpital ou en réanimation venait à atteindre des chiffres similaires à ceux observés pendant le confinement, cette seconde vague serait-elle aussi meurtrière que la première ? D’après le Pr Tattevin, l’amélioration des prises en charges des formes graves autorise un peu d’optimisme. « On sait désormais ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et cela simplifie la gestion des patients », analyse le président de la Spilf. Selon une étude présentée par l’épidémiologiste Simon Cauchemez lors des Journées nationales d’infectiologie, à gravité équivalente, la mortalité parmi les patients hospitalisés pour Covid-19 aurait été divisée par deux depuis le mois de mars grâce à ces avancées.
Peu d’arguments en faveur d’une souche moins virulente
L’hypothèse d’une mutation du SARS-CoV-2 l’ayant rendu moins virulent a aussi été avancée dans une publication de la revue Cell mais s’est finalement révélée être une fausse piste. « De temps en temps, on identifie un virus qui semble avoir muté et être légèrement différent, reconnaît le Pr Tattevin, mais les souches qui circulent majoritairement à l’heure actuelle sont très proches de celle qui a causé la première vague ». Les coronavirus sont pourtant connus pour muter facilement, favorisant l’émergence de variants qui se transmettent plus facilement. Mais dans le cas du SARS-CoV-2, « la souche responsable de l’épidémie est tellement performante en termes de transmission qu’elle reste vraiment dominante ».
Même scepticisme sur un éventuel impact des mesures barrières (et notamment du port du masque) sur la sévérité de la maladie si l’infection est contractée. Des études suisse et hongkongaise ont suggéré qu’en limitant la taille de l’inoculum, ces gestes pourraient réduire l’intensité des symptômes. Mais « cela semble plutôt une vue de l’esprit, estime le Pr Tattevin, car le SARS-CoV-2 se multipliant très rapidement, la quantité de virus inoculée initialement ne semble pas être un paramètre très important », explique-t-il.
Le diagnostic précoce des infections, permis par la nouvelle politique de dépistage, a-t-il en revanche pu contribuer à faire baisser la morbimortalité du Covid-19 en permettant d’anticiper les complications ? « Je ne pense pas, répond là encore le Pr Tattevin, dans la mesure où l’on a aucune mesure de prévention à proposer. »
Enfin, la perspective d’une immunité de groupe semble encore lointaine. D’après les estimations publiées dans la revue Science, moins de 10 % des Français auraient été en contact avec le virus et pourraient être protégés, sous réserve que l’immunité conférée par l’exposition au SARS-CoV-2 soit réellement protectrice. Même s’ils restent très peu nombreux, les cas de réinfection rapportés récemment relancent le débat et suggèrent que l’infection n’est pas forcément moins sévère au deuxième round.