Dans la prise en charge du syndrome de l’intestin irritable (SII), désormais dénommé « désordre de l’axe cerveau-intestin », la diététique correspond à la première ligne de traitement mais peut être l’occasion de nombreuses erreurs, comme l’a souligné le Dr Jean Muris, généraliste et directeur du département de médecine familiale de l’Institut de recherche sur les soins et la santé publique (université de Maastricht, Maastricht, Pays-Bas), lors du dernier congrès européen de gastroentérologie (30th United European Gastroenterology Week, 8-11 octobre 2022, Vienne, Autriche).
Attention aux tests trompeurs
Contrairement à certaines pratiques, les régimes d’exclusion ne doivent pas être guidés par les tests immunologiques de routine pour les allergies alimentaires (IgE sériques ou tests cutanés, ainsi que des tests IgG ou IgG4 spécifiques à un allergène), qui sont au contraire déconseillés chez les patients SII. Les tests fondés sur les IgG indiquent uniquement que la personne a déjà été exposée à un antigène spécifique mais ne fournissent aucune information sur les allergies.
Les tests respiratoires – considérés parfois comme une mesure objective pour identifier une cause organique des symptômes dans le cadre du SII – peuvent être utilisés pour détecter, entre autres, l’intolérance au lactose ou au fructose et la prolifération bactérienne de l’intestin grêle (SIBO). Cependant, les valeurs prédictives des tests varient et sont souvent faibles. De plus, les tests dépendent de la présence et de l’activité de la flore intestinale productrice de dihydrogène, variables d’un individu à l’autre. Enfin, la réponse dose-effet doit être prise en compte. « Car un test respiratoire basé sur l’ingestion d’une grande quantité de lactose peut être positif sans que cela n’indique nécessairement que le patient est intolérant à de plus faibles quantités de produits laitiers, avertit le Dr Muris, l’interaction hôte-microbiome jouant un rôle important dans cette tolérance ».
De même, si les macrophages et l’histamine semblent impliqués dans la physiopathologie du SII, il n’existe aucune preuve en faveur de l’efficacité des régimes à faible teneur en histamine. Plusieurs travaux suggèrent pourtant que l’hypersensibilité observée dans le SII serait induite par des antigènes alimentaires spécifiques qui peuvent déclencher une sensibilisation médiée par les récepteurs H1 des afférences viscérales, un nombre accru de mastocytes à proximité des terminaisons nerveuses et la libération des médiateurs mastocytaires pouvant augmenter ces réactions d’hypersensibilité. Cependant, en dépit de ce substratum fondamental, la restriction des aliments riches en histamine ne produit aucun effet sur le mécanisme d’hypersensibilité viscérale dépendant des mastocytes, entre autres parce que la diamine oxydase présente dans l’intestin grêle décompose toute molécule d’histamine présente dans les aliments.
Des fibres pas toutes équivalentes
Si les fibres agissent de manière bénéfique sur les ballonnements, les flatulences, les douleurs ou les selles anormales, elles peuvent également déclencher ou aggraver ces symptômes car il y a fibres et fibres. Le psyllium, une fibre soluble, visqueuse et peu fermentescible avec des propriétés physico-chimiques uniques (permettant une rétention d’eau et une fermentation bactérienne limitée), améliore les symptômes chez les patients SII. Mais de nombreux prébiotiques, tels que les fructanes de type inuline, les galacto-oligosaccharides (GOS) ou les fructo-oligosaccharides (FOS) sont des fibres qui peuvent au contraire augmenter la production de gaz. « Les personnes atteintes de SII peuvent donc être plus sensibles aux fibres alimentaires, en raison de la fermentation et de la production de gaz qui en résulte, en combinaison avec une nociception altérée, reconnaît le Dr Muris. Cependant, conseiller aux patients de ne pas consommer de produits alimentaires riches en fibres, tels que le pain complet, certains légumes, les fruits, les légumineuses et les noix, peut non seulement entraîner une alimentation déséquilibrée mais ne pas être nécessaire. Nous préconisons plutôt de sensibiliser le patient aux effets potentiels de certaines fibres sur ses symptômes avec une réponse dose-effet et d’ajouter du psyllium pour augmenter la tolérance. » La co-administration de psyllium réduit la production de gaz colique induite par l’inuline dans le SII.
Peu d'appétence pour l'intervention diététique
Dans tous les cas, les mesures diététiques peuvent être difficiles à faire passer auprès du patient. « Pour plus de 85 % des personnes atteintes de SII, la nourriture est l’un des déclencheurs de leurs symptômes gastro-intestinaux et nombre d’entre elles ont essayé des régimes, éliminé certains aliments, pris des suppléments ou utilisé des remèdes en vente libre avant de consulter un médecin ou un diététicien », prévient le Dr Muris. Dans ce contexte, « le patient attend surtout de son généraliste qu’il le rassure sur la maladie et/ou qu’il prescrive des traitements médicamenteux, mais moins de 10 % apprécient l’intervention diététique. Ceci alors même que près de 95 % des généralistes déclarent débuter le traitement du SII en délivrant des conseils nutritionnels. »
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