LE QUOTIDIEN : À quels risques, en termes de santé mentale, sont exposés les quelque huit millions d'Ukrainiens qui ont dû fuir leur pays depuis le début de la guerre ?
Pr WISSAM EL-HAGE : La guerre soumet les Ukrainiens à des traumatismes de masse. Des millions de réfugiés ont dû quitter leur pays, leur famille, leurs pères, frères, ou conjoints. Ces privations et ces ruptures familiales, culturelles, matérielles, ces pertes de repères et le déracinement, sont autant de facteurs de fragilisation communs à toute cette population, qui peuvent être à l'origine de troubles anxieux ou dépressifs.
Par ailleurs, les personnes exposées à des pertes humaines et à la mort d'un ou plusieurs proche(s) sont plus à risque de développer des troubles du stress post-traumatique. C'est aussi le cas de ceux qui ont été confrontés à la mort ou à des menaces imminentes pour leur intégrité ou celle d'un proche.
Il est encore trop tôt pour avoir des données spécifiques sur les réfugiés ukrainiens, d'autant que le conflit est encore brûlant. Mais la littérature enseigne que plus on est proche de l'épicentre de l'évènement, plus le risque de développer une symptomatologie traumatique est important. Cela peut concerner une, voire trois personnes sur quatre, selon le degré d'exposition.
Le déplacement en lui-même peut-il aggraver les troubles ?
Deux autres dimensions peuvent jouer sur le développement de troubles psychiques : le parcours et les conditions d'accueil. Certains migrants d'Afrique subissent parfois un parcours plus traumatisant que les raisons du départ.
Pour les Ukrainiens, on peut espérer que leur accueil dans les pays européens soit au contraire un facteur protecteur contre le développement d'un stress post-traumatique. Alimentation, logement, santé, éducation pour les enfants, sécurité… Les besoins vitaux sont assurés, du moins il y a de l'aide et du soutien. C'est d'ailleurs dans cette optique qu'a été développée la plateforme.
Quelle est la finalité de la plateforme Écoute Psy Ukraine ?
Elle se présente sous deux formes complémentaires : un chat box, et un site internet. Le chatbot (lire page 12) - sous forme de messagerie Telegram - repose sur une intelligence artificielle. C'est un format qui a fait ses preuves auprès des Ukrainiens dans leur pays.
La plateforme en ligne, en français et en ukrainien, propose un riche corpus de documentation et permet d'apporter des réponses à des questions pratiques, du quotidien : comment repérer mes symptômes ? Et vers qui me tourner pour obtenir de l'aide ? Elle propose aussi des exercices ou conseils pratiques à mettre en place immédiatement (relaxation, respiration, alimentation, entraide et solidarité, par exemple) et des numéros d'appel.
Chez les déplacés, les besoins d'aide psychologique peuvent apparaître à distance. Cette plateforme est un outil de psychoéducation et d'empowerment, qui peut servir aussi aux proches. Seule une minorité de déplacés, dont les troubles sont trop handicapants au quotidien, aura besoin de consulter un professionnel de santé mentale. Être réfugié ou déplacé n'est pas une pathologie, et la plateforme peut suffire à la majorité, sans oublier que les médecins traitants sont aussi compétents pour prendre en charge certains troubles psychiques.
Comment inciter les Ukrainiens, dont la culture n'est pas versée dans la psychothérapie, à utiliser une telle plateforme ?
Cette plateforme peut contribuer à lever le tabou qui pèse sur la santé mentale dans de nombreuses cultures ou à dédramatiser une consultation « psy », souvent écartée par peur d'une prescription médicamenteuse systématique. Son rôle est d'apporter un apaisement et de rassurer, en disant : avoir des problèmes de santé mentale ne fait pas de vous un fou ni un sous-homme.
D'autres brochures ressources
Le Centre national de ressources et de résilience (CN2R) propose également des ressources, sous forme de brochures, destinées aux Ukrainiens, mais aussi aux intervenants de la guerre (militaires, humanitaires, diplomates, journalistes) et aux professionnels de première ligne. https://cn2r.fr/guerre-en-ukraine/
*En partenariat avec l’association Écoute Ukraine et les start-up Humans Matter et Aliae, et le soutien financier du groupe Dassault
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