La prise prolongée d'ibuprofène à des doses fortes (1 200 mg/jour pendant 6 semaines) change l'homéostasie hormonale de la testostérone chez les jeunes hommes, révèle une étude franco-danoise publiée dans les « Proceedings of the National Academy of Sciences ».
Pour Bernard Jégou, directeur de recherche INSERM, directeur de la recherche de l'école des hautes études en santé publique (EHESP) et coordonnateur de cette étude : « On n'est pas dans l'hypothèse. Ce travail, qui est la continuation du consortium franco-danois précédent, articule un essai clinique chez 31 jeunes sportifs de 18 à 35 ans, des cultures de fragments de testicules humains et des cultures cellulaires humaines. Le puzzle s'assemble avec précision, c'est une certitude pour des doses fortes sur des durées longues ».
État d'hypogonadisme compensé
Les effets perturbateurs endocriniens s'installent rapidement dès 15 jours et conduisent à un état appelé « hypogonadisme compensé », habituellement observé chez 10 % des hommes âgés. La LH s'élève fortement, à + 30 % des plafonds normaux. « Lorsque l'hypophyse finit par lâcher prise, la testostérone s'effondre, entraînant fonte musculaire, ostéoporose, baisse de la libido et malaise psychologique », explique Bernard Jégou.
De plus, les travaux ex vivo montrent que l'ibuprofène inhibe aussi 2 autres hormones, l'hormone antimüllérienne (AMH) et l'inhibine, toutes deux produites par les cellules de Sertoli, ces cellules nourricières des cellules germinales. Il en résulte que la FSH, normalement contrôlée par l'inhibine, augmente.
Pour Bernard Jégou, le message n'est certainement pas d'interdire l'ibuprofène. « Dans la population générale, il faut veiller à prendre la dose la plus faible pendant le temps le plus court », rappelle le chercheur. A contrario, il existe un mésusage parfois forcé bien décrit chez les footballeurs et les athlètes de haut niveau contre lequel il est important de lutter.
Le mésusage des athlètes en préventif
« Près d'un athlète de haut niveau sur 2 prend de l'ibuprofène à fortes doses, explique-t-il. C'est une grosse, grosse bêtise que d'en prendre à titre préventif et, qui plus est, pendant toute une saison de foot ou pendant la durée des Jeux Olympiques. Il n'y a aucun effet bénéfique établi en préventif, en revanche les risques rénaux, cardio-vasculaires, hémorragiques gastro-intestinaux, de déséquilibre sodique et maintenant de déséquilibre hormonal le sont ».
Surveillance de la balance hormonale
Pour les patients contraints de prendre l'AINS de façon chronique, par exemple pour des douleurs rhumatismales, « il n'est pas question de les priver d'un médicament efficace », insiste Bernard Jégou. Néanmoins, dans les situations avec prise prolongée et à fortes doses, il semble « judicieux de surveiller la balance hormonale de temps en temps en plus du bilan classique et d'alterner avec d'autres antalgiques », conseille-t-il, notamment en cas de désir d'enfant. Le bilan hormonal comprend la FSH, la testostérone totale et la SHBG, calcul de la testostérone libre. « On va s'atteler à des études sur l'ajustement et sur les conditions de réversibilité », explique Bernard Jégou.
De façon plus générale, les chercheurs veulent attirer l'attention du grand public et des autorités sanitaires sur le fait que les antalgiques en vente libre sont avant tout… des médicaments. « Le paracétamol aussi a une liste d'effets secondaires qui s'allonge, souligne Bernard Jégou. Les Suédois sont revenus en catastrophe en 2015 sur l'accès libre en parapharmacie, suite à de nombreux accidents très graves. La question de la vente libre des antalgiques mérite d'être posée ».
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