Projet de retrait de l'autorité parentale au parent incestueux, campagne nationale, accompagnement des victimes, formation des professionnels (notamment des médecins) : le gouvernement a annoncé ce 21 septembre une série de mesures pour renforcer les moyens de lutte contre les violences sexuelles sur mineurs. Des mesures saluées par la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), qui a publié le même jour une analyse sur les conséquences traumatiques de ces abus.
La Ciivise, créée en janvier 2021 pour inspirer des politiques publiques de protection des mineurs, « se réjouit d'avoir été entendue, de voir ses préconisations reprises par le gouvernement », a réagi son coprésident, le juge des enfants Édouard Durand. Selon la Commission, 160 000 mineurs sont concernés chaque année par des violences sexuelles. Une personne sur dix en a été victime dans l'enfance et en garde des séquelles parfois dévastatrices.
Former les médecins au repérage
Pour s’attaquer à ce fléau, le gouvernement veut d’abord « renforcer la formation des professionnels de santé autour de la détection active des maltraitances, la sensibilisation aux questions du respect de l'intimité de l'enfant, et une démarche de prévention des violences ». « Les adultes doivent mieux repérer les signaux et, le cas échéant, faire part de leurs doutes, avant même d'avoir des certitudes », a estimé Charlotte Caubel, la secrétaire d’État de l'Enfance, dans « Le Figaro ».
Soignants ou enseignants doivent « se poser systématiquement la question » des violences sexuelles. « Quand un enfant est violent, que des signaux font craindre une situation de prostitution ou encore qu'il est isolé, c'est une grille de lecture qu'ils doivent avoir en tête », insiste-t-elle.
Pour les aider, une cellule d'appui pour tous les professionnels qui ont des doutes ou sont confrontés à des révélations sera créée. Cette cellule « permettra d'appuyer les professionnels confrontés à des révélations, et de les aiguiller vers le dispositif le plus apte à prendre en charge leur signalement », précise le gouvernement. Cette mesure compte parmi les recommandations de la Ciivise, qui plaide également en faveur du remboursement des soins en psychotrauma des victimes.
En mars, la Ciivise réclamait aussi une vraie obligation de signalement pour les médecins et la suspension des poursuites disciplinaires. Ces mesures ne figurent pas dans les annonces du gouvernement.
En revanche, « le sujet de l'intimité et du respect du corps devrait être abordé à l'école », suggère aussi Charlotte Caubel. Chaque enfant est censé suivre chaque année trois séances d'éducation sexuelle et affective à l'école, mais elles sont rarement dispensées.
Une grande campagne nationale sur les violences sexuelles faites aux enfants « pour faire connaître leurs manifestations et leurs conséquences pour les victimes ainsi que les recours possibles » est prévue pour début 2023. La précédente date de 2002.
Retrait de l’autorité parentale
En matière judiciaire, le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a annoncé le dépôt au Parlement d’une « modification législative » pour permettre « le retrait de principe de l'exercice de l'autorité parentale en cas de condamnation d'un parent pour violences sexuelles incestueuses sur son enfant ». Le retrait serait donc automatique, mais une juridiction pourrait exceptionnellement le refuser en le motivant.
« Certains agresseurs en prison peuvent actuellement conserver l'autorité parentale et refuser que leur enfant aille en psychothérapie, subisse des interventions médicales, change d'école », explique Isabelle Aubry, présidente de l'association Face à l'Inceste, qui plaide pour un retrait automatique dès le dépôt de plainte. « La procédure peut durer des années et l'enfant reste sous l'influence de son agresseur, subit violences et menaces, n'ose plus parler. L'enquête n'avance pas et on va vers un non-lieu et un classement sans suite », souligne-t-elle.
Le gouvernement veut également consolider le traitement judiciaire, alors que 70 % des plaintes sont classées sans suite, et proposer un meilleur accompagnement des enfants lors des procédures pénales. Il compte aussi poursuivre le déploiement des unités d'accueil pédiatriques enfants en danger (Uaped). L'objectif est que chaque département dispose début 2024 d’une de ces unités associant enquêteurs, médecins, psychologues, pour entendre l'enfant.
Des séquelles tout au long de la vie
« Le nœud du problème reste le taux trop élevé de classements sans suite et le taux trop faible de révélations de violences sexuelles. Il faut renforcer le repérage et consolider l'enquête pénale, ce que les mesures annoncées par le gouvernement tendent à faire. Nous serons attentifs à ce qu'elles soient mises en œuvre », a commenté le juge Durand.
Dans son rapport, la Ciivise - qui a reçu plus de 16 000 témoignages - donne à voir les conséquences des violences sur le quotidien des victimes, « sur leur vie intime à l'âge adulte, leur couple, leur vie de parent, leur sexualité ». Quatre femmes sur dix rapportent des douleurs, principalement du vaginisme. Près d'un homme sur trois des troubles de l'érection. L’impact sur leur santé adulte se traduit par des comportements à risque (troubles alimentaires, addictions, agressivité, tentatives de suicide).
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