« C’est un généraliste de mon département qui m’a fait prendre conscience du problème », explique au « Quotidien » Colette Giudicelli, sénatrice (LR) des Alpes-Maritimes, auteur de la proposition de loi (PPL) « tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé ».
« Ce médecin avait saisi le procureur du cas d’une fillette qui présentait une brûlure en forme de semelle de fer à repasser. Les parents ont porté plainte pour dénonciation calomnieuse et le praticien s’est vu infliger une suspension de six mois. On ne peut pas accepter ça. Il m’a paru nécessaire de revoir la loi à la fois pour protéger les médecins qui font un signalement et pour protéger les enfants victimes. »
Plusieurs études le confirment, les procédures en vigueur sont mal connues des praticiens et elles les protègent insuffisamment. Selon les extrapolations faites à partir des travaux de la pédiatre Anne Tursz, directrice de recherche à l’INSERM, cités par le Dr Cédric Grouchka dans un rapport de la HAS (Haute Autorité de santé) publié l’an dernier, 90 % des cas d’enfants en danger pourraient rester ignorés. Or seulement 5 % des signalements sont effectués par le secteur médical, 1 % d’entre eux émanant de médecins libéraux.
Une acccumulation de poursuites
Depuis 1997, note l’exposé des motifs de la PPL, environ 200 médecins (généralistes, pédopsychiatres, pédiatres ou gynécologues) ont fait l’objet de poursuites pénales et/ou de sanctions disciplinaires à l’initiative des auteurs présumés des agressions. L’accumulation de ces poursuites crée un climat de stress et profond malaise dans la communauté médicale.
Pour sauver les enfants en danger et protéger les professionnels inquiets, Colette Giudicelli a donc déposé en mai 2014 une PPL cosignée par 55 sénateurs. Le texte initial inscrivait dans le Code pénal une véritable obligation pour les médecins de « signaler systématiquement au procureur de la République toute présomption de violences commises sur un mineur ou sur une personne qui ne serait pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ». Le médecin était ainsi « tenu » de porter « sans délai à la connaissance du procureur les constations personnellement effectuées dans l’exercice de sa profession, quand elles lui ont permis de présumer, sans avoir à caractériser une infraction » des violences « physiques, sexuelles ou psychologiques ».
La PPL assortissait cette disposition du renforcement de l’immunité civile pénale ou disciplinaire du praticien, « à moins que sa mauvaise foi n’ait été judiciairement établie ».
Mais, au Sénat comme à l’Assemblée nationale ensuite, la proposition a été amendée sur son premier point, l’obligation. « On a réalisé qu’en ne signalant pas le médecin pouvait voir sa responsabilité civile engagée, explique le rapporteur, François Pillet (LR, Cher), et que la contrainte de signaler le moindre fait aurait rendu très difficile l’identification par la justice des situations particulièrement dangereuses. De plus, l’obligation risquait d’être incompatible avec les principes de déontologie médicale qui imposent au médecin de faire preuve de prudence, de circonspection et d’apprécier chaque situation en toute conscience, alors qu’il est toujours plus facile de signaler sans se poser de questions, sans pourtant faire preuve de mauvaise foi, que de vérifier la réalité des faits. »
Ne pas mettre la pression sur les médecins.
En premières lectures devant les deux chambres, en mars puis en juin dernier, l’amendement qui supprime l’obligation a été adopté. À l’unanimité, événement parlementaire exceptionnel. C’est l’union sacrée pour ne pas laisser mourir les enfants. « Je m’y suis ralliée, explique Colette Giudicelli, car j’ai estimé que l’obligation aurait affolé les médecins, qui sont suffisamment meurtris par les procédures et les contraintes en tous genres. Il faut leur faire confiance et ne pas leur mettre la pression. »
« Nous n’avons pas réduit la voilure du texte, insiste-t-elle. Au contraire, nous l’avons déployée : d’une part, la protection du signalement est étendue à tous les professionnels de santé, personnels médicaux et paramédicaux, ainsi qu’aux travailleurs sociaux. D’autre part, une obligation de formation aux procédures de signalement est instaurée. Elle prévoit dès la formation initiale ainsi qu’en formation continue un enseignement sur le repérage des maltraitances. » « Aussi surprenant que cela puisse paraître, ajoute François Pillet, les médecins ne sont pas formés à l’identification des signes d’alerte. Ceux-ci sont d’autant plus difficiles à détecter que le médecin de ville est souvent le médecin de toute la famille, il n’imagine pas que la maltraitance soit possible en son sein. »
Mercredi, la commission des lois du Sénat devrait valider cette version de la PPL qui sera soumise au vote en séance le 22 octobre, dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée. Un vote qui a toutes les chances d’être définitif. « Quitte, prévient Colette Giudicelli, à ce que nous reposions la question de l’obligation en 2017, selon les résultats que nous aurons constatés. »
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes
« Ils savaient » : le chirurgien pédocriminel Le Scouarnec protégé par l'omerta médicale