° Néo-chamanisme
Georges Fenech, président de la MIVILUDES, en fait un des points forts du bilan 2009. « J’insisterai ... cette année sur un phénomène en pleine expansion et des plus préoccupant, que le présent rapport dénonce : le néo-chamanisme », précise-t-il en introduction. Le constat est récent et « alarmant », indique le président, qui a saisi les ministères de la Justice et de la Santé afin que des actions de prévention, voire de répression soient mises en uvre contre ce qu’il appelle les nouveaux gourous du « chamanisme-business ».
Les premiers signaux d’alerte ont été lancés dès l’année 2005, en particulier sur l’utilisation de substances dangereuses comme l’ayahuasca ou l’iboga, qui peuvent favoriser la mise sous emprise des personnes participant à des stages pseudo-chamaniques. « Depuis cette époque, en Europe, une déferlante du néo-chamanisme ou chamanisme contemporain s’est accentuée du fait de sa forte popularité sur Internet », souligne le rapport. Ce dernier ne remet pas en cause le chamanisme ancestral mais les nouveaux gourous, « femme ou homme né(e) et ayant vécu dans une société développée de type occidental mais pratiquant des rituels inspirés par des chamans autochtones ». Les dérives existent, « les témoignages le prouvent, des poursuites judiciaires ont déjà été conduites en France et à l’étranger et 3 signalements de faits graves, parvenus en 2009 à la Miviludes, ont donné lieu à la saisine des autorités judiciaires ».
De nombreux centres ou lieux de séminaires favorisant le voyage chamanique se sont développés à l’étranger, plus particulièrement en Amérique centrale, en Amérique du sud (au Pérou par exemple), en Guyane mais aussi sur le continent africain. Certains ont des relais en France et fonctionnent comme des « communautés thérapeutiques » qui confient à des agences spécialisées dans le « tourisme spirituel », l’organisation de voyage à thème. La MIVILUDES a recensé 4 centres établis en Amérique du sud, qui accueillent des Européens et majoritairement des Français. « Aucun contrôle médical et aucun soutien psychologique ne sont en général prévus dans ces retraites », souligne le rapport. Des prescriptions et contre-indications nombreuses remises au futur stagiaire « sont faites de telle sorte que l’on peut penser qu’il s’agit de prescriptions de type médical cautionnées par les autorités de santé, alors qu’il n’en est rien », insiste la Mission.
Or, les produits hallucinogènes utilisés dans les rituels ne sont pas sans danger, « malgré la présentation anodine qu’en font certains ouvrages ». En France, ils sont classés comme stupéfiants. Outre l’ayahuasca et l’iboga, la mission cite le datura, plante très vénéneuse et toxique, utilisée dans certaines sociétés pour provoquer des hallucinations et des transes, de même que la sauge des devins ( salvia divinorum). Aucune loi n’en interdit à ce jour la vente, la possession ou l’usage. Pourtant des « poursuites pénales pourraient être engagées, souligne le rapport, car le seul fait d’expliquer que la salvia est une "drogue licite" qui permet d’avoir les mêmes sensations que celles recherchées avec des stupéfiants, constitue une infraction punissable de 5 années d’emprisonnement », précise le rapport
Nutrition et risque sectaire
La nutrition est l’autre thématique dans laquelle se sont engouffrés les courants de pensée « alternatifs ». Les pratiques de détoxination alliant exercice physique, frugalité ou encore jeûne alimentaire ont « révélé leur redoutable efficacité dans les processus d’emprise ayant conduit au suicide, ou à une mort prématurée d’adeptes atteints de pathologie engageant le pronostic vital, par refus des protocoles thérapeutiques éprouvés », note la MIVILUDES. Elle cite différentes d’affaires qui ont conduit à des décisions de justice. On y trouve notamment les dérives hygiénistes de l’association Joie et Loisirs révélées en 1999 lorsque des médecins de l’hôpital d’Avallon ont saisi la justice après le décès au service des urgences d’un enfant de 2 ans et demi en état de dénutrition sévère. Les parents adeptes de l’association limitaient les apports alimentaires aux fruits, fromages, produits laitiers et à l’eau, un régime alimentaire qui a conduit à des cas d’anémie sévère entraînant des retards de croissance et du rachitisme. Cette même quête de pureté se retrouve dans d’autres affaires comme celle où des adeptes de la kinésiologie, mouvement né dans le sillage du new age, ont adopté pour eux et leurs enfants un régime végétalien carencé en protéines animales et en vitamines, conduisant à la mort d’un bébé. À la dimension hygiéniste s’associe souvent une extrême défiance à l’égard d’un monde médical jugé a priori dangereux.
Ce même rejet de la médecine traditionnelle, en particulier de la vaccination et de la chirurgie, est retrouvé dans l’affaire dite du Graal, où étaient impliqués des médecins. Le mouvement, implanté dans plusieurs pays, s’appuie sur l’ouvrage d’un collectif d’adeptes médecins, « l’Homme malade de la civilisation », paru aux éditions du Graal. En janvier 1977, une mère est ainsi décédée d’un cancer du sein soigné par des potions homéopathiques, phytothérapeutiques, des cataplasmes et dans la phase cruciale de la maladie, par un jeûne purificateur de 21 jours. À l’issue de quatorze années de procédure judiciaire, des condamnations d’interdiction définitive de l’exercice médical ont été prononcées.
Le rapport cite encore les dérives de l’instinctothérapie, théorie de l’alimentation fondée sur les lois de l’évolution et de l’adaptation génétique des organismes, ou encore du végétalisme thérapeutique, du végétarisme et ses variantes et de la naturopathie.
Il dénonce aussi « le marché de l’hygiénothérapie », qui recouvre les offres, en vogue, de séjours en cliniques de la nutrition, la pratique du jeûne associée à la randonnée ou encore de recours à des produits présentés comme des compléments nutritionnels. La détoxination par le « jeûne et la randonnée » en particulier, est née en Allemagne et en Suisse dans le sillage des mouvements alternatifs écologistes et pacifistes des années 1970. Sur ce principe sont organisés aujourd’hui de nombreux séjours en milieu rural autour de la pratique du jeûne et de la marche associés au yoga, au shiatsu, à la kinésiologie, à la programmation neurolinguistique, à l’hypnose, à la sophrologie ... Certaines de ces expériences de régénération par le jeûne peuvent excéder une semaine, comme dans le cas, cité par la Mission, de la « croisade pour la santé » qui, depuis deux ans, propose des marches de deux semaines sur plusieurs centaines de kilomètres. La multiplication de ce type de séjours, notamment dans le grand Sud-Ouest, suscite protestations et messages d’alerte.
Quant aux produits dangereux présentés comme des compléments alimentaires, il s’agit le plus souvent de produits à base « d’herbes chinoises » préconisées notamment contre l’obésité. D’autres produits présentés comme des vitamines sont en réalité des substances aux effets secondaires délétères, comme la nicine, utilisée dans les programmes de purification de la scientologie.
Face à ces dérives, les propositions de la MIVILUDES visent en particulier à développer l’expertise scientifique, ou encore à mieux informer le grand public et diffuser des alertes sur les effets ou événements indésirables dans le cadre du nouveau dispositif de vielle institué par la loi HPST
Enfants en danger
Le rapport de la MIVILUDES consacre un chapitre à la protection des mineurs face aux dérives du new age, dont le succès ne se dément pas. L’enfant est en effet considéré comme un élément clé par certains mouvements ou courants de pensée, étant censé jouer un rôle déterminant dans le monde de demain : c’est « l’enfant indigo » du mouvement Kryeon ou encore les « enfants étoiles », « les nouveaux enfants », « les enfants Web », etc.
Dans le cas de dérives sectaires, une famille peut être persuadé par des personnes peu scrupuleuses que l’enfant est exceptionnel et elle subira des pressions. Elle pourra être convaincue de retirer l’enfant du système scolaire – plus de 13 500 enfants ne vont pas à l’école primaire, souligne la Mission – et d’abandonner la médecine classique au profit de pratiques telles que la kinésiologie ou le reiki.
Ces deux pratiques, qui se présentent comme des thérapies holistiques naturelles, n’entrent pas, en théorie, en concurrence avec la médecine classique. La kinésiologie, qui n’a jamais été évaluée, se présente comme une méthode d’éducation à la santé fondée sur les mouvements du corps et ne prétend pas guérir les maladies. Mais, relève la MIVILUDES, « le terme encourage l’amalgame entre kinésithérapie et physiologie et peut entretenir une certaine confusion dans les esprits ». Et certains kinésiologues se targuent de pouvoir venir à bout de tous les troubles. Quant au reiki, qui utilise l’imposition des mains, il se définit comme une discipline spirituelle censée renforcer le pouvoir de guérison du corps. Le rapport cite également parmi les pratiques new age à risque, certaines techniques de purification du corps.
L’illustration de la mise en danger des enfants est le cas dramatique d’une petite fille de 6 mois rejetée parce qu’elle n’était pas « indigo » et décédée dans des conditions suspectes après avoir été soumise à des méthodes de purification telles que l’ingestion de sa propre urine ou la suspension par les pieds pour « évacuer les ions négatifs ».
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