INVITÉE par le Conseil de l’Europe à raconter son expérience, dans le cadre de la discussion d’un rapport destiné à renforcer les droits des femmes d’origine étrangère vivant en Europe, le Dr Abedin a expliqué comment, en août dernier, sa famille l’a poussée à rentrer au Bangladesh pour aller au chevet de sa mère malade. À peine arrivée, elle s’aperçoit du piège qui lui a été tendu : le but du voyage était de la marier dans son pays. Elle se révolte, ce qui lui vaut d’être hospitalisée pendant trois mois dans un hôpital psychiatrique, avant d’être finalement mariée le 14 novembre 2008. Elle réussit heureusement, avant son internement, à prévenir quelques amis anglais, qui vont organiser son rapatriement, grâce à une nouvelle loi britannique récemment entrée en vigueur. Cette loi garantit à toute femme résidant au Royaume-Uni, qu’elle ait ou non la citoyenneté britannique, le droit d’être protégée contre les sévices et mauvais traitements fondés sur le sexe, y compris les enlèvements et les mariages forcés. Le gouvernement britannique a donc pu déposer une injonction auprès de la famille du Dr Abedin, tandis que cette dernière, échappant à ses parents, parvenait à faire examiner son cas par la cour suprême du Bangladesh. Laquelle a finalement ordonné le renvoi du médecin en Angleterre, où elle tente depuis de reconstruire une vie normale, malgré l’énorme traumatisme subi.
Le modèle britannique.
Pour le Conseil de l’Europe, la loi britannique est un modèle dont devraient s’inspirer les autres pays européens : selon la rapporteuse du texte adopté le 28 avril à Strasbourg, la députée chypriote Antigoni Papadopoulos, tous les pays sont concernés par ces pratiques infligées aux jeunes femmes d’origine étrangère : en France, 70 000 jeunes filles de 10 à 18 ans sont potentiellement menacées par les mariages forcés, et autant par les mutilations sexuelles. Outre de nombreux pays du bassin méditerranéen et du monde arabe, ces pratiques restent vivaces en Inde, au Pakistan et au Bangladesh : le Royaume-Uni estime que, rien qu’en 2008, 1 500 jeunes résidentes britanniques issues de ces trois pays ont été mariées de force. Les associations allemandes d’aide aux femmes immigrées recensent, elles, plusieurs centaines de cas par an, tandis que les autorités suisses estiment à 17 000 le nombre de mariages forcés déjà réalisés ou projetés au sein des communautés immigrées.
Le Conseil de l’Europe appelle tous les pays européens* à ne tolérer ces pratiques sous aucun prétexte, et encore moins sous celui du « relativisme culturel et religieux », et insiste sur l’ampleur des violations des droits et libertés fondamentales qu’elles représentent. Il les invite à se doter de législations permettant d’interdire et de sanctionner ces actes et de faciliter les poursuites en cas de retour forcé. Il suggère aussi des mesures de prévention, dont une sensibilisation et une éducation des jeunes filles et de leur entourage au respect des droits et de l’égalité, et une information des familles comme des jeunes filles sur les sanctions encourues en cas d’infraction, et sur les dispositifs d’aide en cas de danger.
Dans tous les cas, c’est en levant la chape de silence qui plane encore sur les mariages forcés et les mutilations que ceux-ci seront enfin bannis, du moins en Europe… Mais le chemin reste long, comme l’a admis le Dr Abedin en répondant à un journaliste qui lui demandait si elle entendait, à partir de son histoire, se faire la porte-parole des autres femmes de son pays. « En parvenant à rentrer en Angleterre, je me suis déjà mise au ban de ma famille et de ma communauté, et je sais qu’il est de mon intérêt de ne plus faire parler de moi pour le moment », a-t-elle expliqué, en s’enfonçant un peu plus dans le grand fauteuil de parlementaire européen qui lui avait été prêté pour l’occasion…
* En France, où 70 000 adolescentes sont menacées d’un mariage forcé, une campagne d’information a été lancée tout récemment (« le Quotidien » du 16 avril).
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