Dévoilé ce mercredi par l'Ordre national des médecins (Cnom), l'atlas de la démographie médicale met en lumière les fragilités de la profession et les risques d'aggravation de la pénurie. « La situation démographique à l'instant T est difficile. Et les projections seront pires que ce qu'on peut imaginer surtout si les parlementaires continuent à charger la barque des médecins », a prévenu le Dr François Arnault, président du Cnom. Avec le risque de découragement pour les praticiens en fin de carrière et d'abandon aussi du côté des jeunes en formation. Tour d'horizon.
Baisse de l'activité régulière
Si le nombre de médecins en activité totale inscrits à l'Ordre progresse de 8,5 % depuis 2010 (234 028 en 2023), l'atlas révèle cette année une nouvelle érosion des effectifs en activité dite « régulière » (197 417 praticiens), en baisse de 1,3 % par rapport à 2010 et de 0,2 % sur un an, érosion seulement compensée par l’augmentation du nombre de médecins en activité intermittente (16 452 remplaçants) et en cumul emploi retraite (20 159). En treize ans, les intermittents et les retraités actifs ont ainsi respectivement bondi de 64,4 % et de 259 %.
La balance globale entre les entrants et les sortants actifs réguliers reste ainsi négative avec 394 médecins de moins sur l'année 2022 – toutes spécialités confondues. Les spécialités rencontrant les pertes d’actifs réguliers les plus importantes au cours de l’année 2022 sont la médecine générale (-1 146 médecins), la chirurgie générale (-328) ou l’ophtalmologie (-119). Les 33 autres spécialités connaissent une balance positive au cours de l’année 2022. Les qualifications les plus excédentaires sont la médecine d’urgence (+363 médecins), la médecine vasculaire (+218 médecins) et la gériatrie (+214 médecins).
Moins de généralistes en proportion, plus de spés
Le deuxième fait marquant concerne la part des spécialistes (hors médecine générale) en activité. Ceux-ci représentent désormais 58 % des praticiens (45,2 % de spécialistes médicaux et 12,8 % de spécialistes chirurgicaux) versus 52 % en 2010. À l’inverse, en 2023, les effectifs de spécialistes en médecine générale représentent désormais seulement 42 % (versus 47 % en 2010).
Féminisation et rajeunissement
La féminisation de la profession se poursuit : déjà majoritaire chez les médecins en activité régulière, elle le sera prochainement si l’on considère l’ensemble des médecins en activité (la prise en compte des médecins ayant un cumul emploi retraite expliquant que la parité homme femme ne soit pas encore atteinte). Ainsi, au 1er janvier 2023, ce sont 100 928 femmes et 96 489 hommes qui sont inscrits comme médecins en activité régulière. Le taux de féminisation atteint 51,1 % « soit une augmentation de 10,1 points en 13 ans », commente le Dr Mourgues.
Parallèlement, la profession continue à rajeunir. Les médecins sont âgés en moyenne de 48,6 ans contre 50,2 ans en 2010. Le nombre de praticiens de moins de 40 ans a quasi doublé entre 2010 et 2023 passant de 15,7 % à 29,6 %. « Le rajeunissement est à l'œuvre, reconnaît le Dr Mourgues. Mais les jeunes médecins optent davantage… pour le salariat et font autre chose que de la médecine générale. Il y a donc bien un problème de fond d'attractivité de médecine générale de premier recours ».
Le salariat, toujours plus attractif, le libéral en repli
Au cours des treize dernières années, l’activité régulière salariée ne cesse de gagner du terrain. Alors qu’en 2010, le salariat représentait 41,9 % des médecins en activité régulière, il compte désormais pour 48,2 % en 2023, détrônant ainsi l’activité libérale. Ainsi, entre 2010 et 2023, l’effectif des médecins actifs réguliers ayant un statut libéral exclusif a diminué de 11,8 % et celui des mixtes de 12,6 % tandis que celui des praticiens salariés a bondi de 13,4% sur cette même période.
Le salariat est particulièrement choisi par des spécialistes médicaux (61,9 %). Les généralistes conservent une préférence pour l'exercice libéral, à respectivement 56,3 %. « L'activité libérale reste certes le mode d'activité principale chez les généralistes mais au fil du temps, elle baisse. Ce qui ne fait qu'aggraver le constat des déserts médicaux », prévient l'élu ordinal. Aujourd'hui, le Cnom comptabilise 59 523 médecins généralistes de premier recours, soit 81 % de l’ensemble des médecins de premiers recours (psychiatres et ophtalmologues).
Des inégalités territoriales qui perdurent
Une nouvelle fois, l'Ordre constate le creusement des inégalités territoriales. Alors que la densité médicale moyenne est de 294,7 praticiens pour 100 000 habitants, plusieurs départements situés au centre de la métropole, autour du bassin parisien affichent un nombre de médecins bien inférieur comme l’Indre (147,7), l’Eure (148,6) ou encore l’Ain (151,7). Et à l’inverse, ceux abritant les grandes villes de France, ainsi que ceux situés sur les littoraux ou aux frontières, sont mieux dotés : Paris (690,4), Hautes-Alpes (418,5) ou encore le Rhône (413,0). Le même schéma de disparités territoriales s'observe pour les seuls généralistes.
En prenant en compte cette fois la population de 65 ans et plus – la plus consommatrice de soins – plusieurs départements comme la Nièvre, la Creuse ou l’Indre sont particulièrement moins bien dotés.
Renfort des médecins à diplôme étranger
Au 1er janvier 2023, le Cnom recense 26 364 médecins à diplôme étranger (obtenus au sein de l'UE hors UE) en activité régulière. Depuis 2010, ce nombre a bondi de 84,7 %.
À l’échelle départementale, ils sont davantage présents, en nombre, dans les départements du bassin parisien à savoir la capitale (1 906 médecins), le Val-de-Marne (980), la Seine-Saint-Denis (845) ou encore le Val-d’Oise (827). Les départements comptant les effectifs de médecins à diplôme étranger les plus faibles sont les départements d’outre-mer ainsi que la Lozère ou la Corse.
Taux d'abandon des étudiants, l'alerte
Enfin, le taux d'abandon des étudiants en médecine inquiète l'Ordre des médecins, qui a fait état mercredi de « très forts indices » d'une « désaffection » liée aux conditions d'exercice d'un métier devenu « pas attractif pour les jeunes ».
Le Dr Jean-Marcel Mourgues a pour la première fois évoqué des remontées du terrain, qu'il convient de vérifier, sur un « abandonnisme dans les études médicales ». Un phénomène qui ne concerne pas que les médecins, a-t-il concédé, faisant néanmoins le lien avec les récentes réformes des études des futurs médecins. Le président de l'Ordre, le Dr François Arnault, a pointé lui aussi un « abandonnisme à la fin des études », déplorant que même « après dix ans d'études, certains n'exercent pas ce métier ».
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