Une fois n'est pas coutume, la Cour des comptes réclame une régulation plus volontariste des soins de ville, dans son volumineux rapport annuel sur la Sécurité sociale, dévoilé ce jeudi. Tour d'horizon.
• Médecine libérale : éviter le dérapage à tout prix
Le projet de loi de financement de la Sécu (PLFSS) présenté par le gouvernement porte à 2,5 % la progression des dépenses maladie (ONDAM) pour 2019 (dont 2,5 % pour les soins de ville et 2,4 % pour l'hôpital). Suspicieuse, la Cour juge que le respect de l'ONDAM est conditionné à sa construction « plus rigoureuse » et surtout à un ajustement de l'enveloppe budgétaire en cours d'année qui viserait… les soins de ville.
Pourquoi cette maîtrise comptable ? La marge de progression des dépenses admise en 2019 est « d’ores et déjà en grande partie préemptée par des décisions de revalorisation des rémunérations des acteurs du système de santé – convention 2016 avec les médecins et de 2018 avec les chirurgiens-dentistes, avenants aux conventions d’autres professions libérales de santé (...) », peut-on lire.
Parce que la hausse naturelle des dépenses de soins de ville reste « très dynamique » (autour de 4 %), la Cour propose, « en cas de risque de dépassement », une régulation infra-annuelle « faisant participer les dépenses de soins de ville, alors qu’elles en ont été exemptées pour l’essentiel à ce jour ». Sous quelle forme ? La Cour imagine (sur le modèle du coefficient prudentiel hospitalier qui permet de geler certains crédits chaque année) une « réserve prudentielle » en ville mettant en jeu plusieurs mécanismes : des accords prix-volume (déjà déployés pour la biologie) voire la « mise en réserve d’une partie des augmentations conventionnelles ou des dotations forfaitaires ». En clair, une part à définir des revalorisations (tarifs, forfaits, ROSP) serait conditionnée au fait de rester dans les clous de l'ONDAM tout au long de l'année. Un verrou budgétaire (déjà envisagé par le passé par la Cour) qui risque de faire hurler la profession.
L'hôpital devrait lui aussi faire des efforts. La Cour propose d'« annexer à l’ONDAM un objectif de maîtrise des déficits et de la dette des établissements publics de santé ».
• Doper la médecine ambulatoire
Le taux de chirurgie ambulatoire est passé de 42,3 % en 2010 à 54,6 % en 2016. Mais en médecine, ce taux est de 40 % en 2016. À l'automne, Agnès Buzyn a annoncé vouloir « porter la médecine ambulatoire à 55 % et la chirurgie ambulatoire à 70 % d'ici à 2022 ». Une volonté que partage la Cour des comptes. Selon elle, il convient d'établir un modèle de tarification incitatif au développement de la médecine ambulatoire « sans créer d'effet d'aubaine durable » et de « clarifier » les champs respectifs de l'hospitalisation de jour des consultations externes.
La Cour soutient également le recours à des alternatives à l'hospitalisation classique (maisons médicales de garde, hospitalisation à domicile). Comme le gouvernement, elle veut mieux « structurer » la médecine de ville (exercice regroupé, communautés professionnelles) tout en faisant des infirmiers en pratique avancée « une composante significative de l'offre de soins de premier recours ». « Les actions déployées afin de remédier à l’atomisation des professionnels de santé en ville, en surmontant leur fréquente réticence à intégrer des structures de coordination des soins, restent insuffisamment développées », insistent les experts.
Techniquement, le succès du virage ambulatoire dépend de la généralisation réussie du dossier médical partagé et d'une actualisation « plus rapide » de la nomenclature des actes médicaux.
• Soins visuels : élargir les compétences des orthoptistes et des opticiens
Les besoins de la population en soins visuels restent « imparfaitement » couverts, juge la Cour, et ce malgré les dépenses « dynamiques » de la filière (9,6 milliards d'euros en 2016).
Les magistrats soulignent les difficultés d'accès aux soins visuels « d'ordre financier » (58 % des praticiens en secteur II et 54,3 % de taux moyen de dépassement) mais surtout la rareté de l'offre médicale avec des ophtalmologues « très inégalement répartis ». La densité médicale est multipliée par 10 entre la Haute-Saône et Paris, et elle devrait baisser de 20 % d'ici à 2030…
Dans ce contexte, les magistrats préconisent plusieurs fortes. Il convient à leurs yeux d'autoriser les orthoptistes à réaliser des « bilans visuels et des consultations simples dans leur propre cabinet, sans être salariés d'ophtalmologues, et prescrire à ce titre des équipements optiques ». Autre piste : les opticiens pourraient – outre le renouvellement déjà en vigueur de verres correcteurs dans un certain délai – prescrire en première intention des équipements d'optique. Dans les deux cas, les formations respectives devraient être approfondies (niveau master). Le renvoi systématique au médecin serait requis pour les situations pathologiques excédant ce champ étendu de compétences. « Attention à ces évolutions car beaucoup de troubles de la réfraction cachent des pathologies plus lourdes ! Et je ne suis pas sûr qu'une ré-ingénierie des métiers suffirait pour que les orthoptistes fassent du diagnostic… », met en garde le Dr Thierry Bour, président du Syndicat des ophtalmologistes de France (SNOF).
Autre préconisation : conditionner les nouvelles installations d'ophtalmologues libéraux dans les zones caractérisées par « des niveaux élevés de dépassements » à l'adhésion obligatoire à l'option tarifaire maîtrisée (OPTAM). Une façon de réguler l'accès au secteur II. « C'est le discours traditionnel de la Cour des comptes ! », s'agace le Dr Bour. En juin 2018, seuls 516 ophtalmologues ont adhéré au dispositif de modération tarifaire.
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