LE QUOTIDIEN – Vous avez présidé la Mutualité française pendant 18 ans. Estimez-vous avoir pesé sur certaines évolutions utiles du système de santé français ?
JEAN PIERRE DAVANT – Depuis le congrès de Bayonne, en 1994, la Mutualité a régulièrement fait part de propositions raisonnables pour moderniser le système de santé. Avec un double objectif : permettre à chacun d’accéder à des soins de qualité ; et réguler le système pour ne pas tomber dans une course perpétuelle au financement. Ces propositions ont été entendues. Ont-elles été écoutées ? C’est une autre affaire… Au début des années 90, notre combat pour développer la politique des génériques a porté ses fruits. La Mutualité a aussi eu un rôle décisif, à cette époque, en affirmant clairement que la Sécurité sociale devait être préservée quand certains prônaient la mise en concurrence des organismes. Il y a eu l’épisode du plan Juppé dont nous avons soutenu certaines mesures, sans être à la remorque de tel ou tel parti. Je rappelle également notre bataille pour la méthadone, contre les risques d’infections par des seringues souillées. Dans les années 2000, plusieurs de nos propositions, formulées au congrès de Toulouse (2003), ont été reprises. On avait recommandé la création de la Haute Autorité de santé, de l’UNOCAM, le principe du médecin traitant… Tout cela a été traduit de façon désordonnée dans la réforme Douste-Blazy (2004). Quant au dossier médical partagé, on l’avait déjà proposé à Bayonne. Mais cela fait partie des échecs !
Vous faîtes toujours le diagnostic d’un système de distribution des soins désorganisé, illisible pour les patients, d’un maquis tarifaire… N’avez-vous pas le sentiment d’avoir prêché dans le désert ?
Oui bien sûr. Les réformes ont été extrêmement timides. Elles n’ont pas changé fondamentalement, hélas, l’organisation du système de santé. C’est un grand regret. Le résultat, c’est que nous sommes aujourd’hui dans une situation d’impasse budgétaire de l’assurance-maladie. On a un pied dans le précipice. Impasse aussi en matière de distribution des soins. Or, j’ai toujours pensé qu’en changeant l’organisation du système de santé, on pourrait régler notre problème budgétaire. Et non pas en transférant des charges sur les ménages et les complémentaires ! On est resté dans un système figé et désespérément conservateur. Regardez le problème des urgences : cela fait 30 ans qu’on sait ce qu’il faudrait faire. On ne le fait pas.
Sous votre présidence, le monde mutualiste s’est positionné comme un acteur à part entière du système de santé. Vous avez constitué un groupe hospitalier. Vous avez lancé Priorité santé mutualiste. Vous investissez aussi l’éducation thérapeutique. La Mutualité n’en fait-elle pas trop ?
Compte tenu de la situation, je ne pense pas que la Mutualité en ait trop fait. Les déficits actuels seront remboursés en 2025… C’est ahurissant ! Je n’ai jamais compris pourquoi les corporatismes pouvaient à ce point l’emporter sur l’intérêt général. Dans ce contexte, c’est vrai, j’ai essayé de changer les choses. Comment ? En constituant un groupe hospitalier, avec une politique de conventionnement qui va commencer, avec le service Priorité Santé Mutualiste, ou encore avec l’expérimentation sur la prévention de l’hypertension artérielle qui vise à améliorer la qualité de prise en charge tout en régulant la dépense. Ceux qui critiquent cette stratégie n’ont pas compris que la Mutualité était devenue avant tout un mouvement de santé et non pas uniquement un assureur complémentaire.
Pourtant, vous continuez année après année de subir des transferts de charges, des déremboursements...
Oui. Les décisions appartiennent aux responsables politiques élus par les Français. Je constate que, élection présidentielle après élection présidentielle, les questions de santé sont quasiment absentes de la campagne alors que ce sujet intéresse tous les Français. A chaque fois, nous avons cherché à faire émerger le débat, à mobiliser les candidats de tous bords. Nous n’y sommes pas parvenus. Après, dans l’urgence, les gouvernements subissent le poids des lobbies. Et dans notre pays, les hommes politiques sont convaincus que les professionnels de santé sont des relais d’opinion très importants. Moi, je nuance. Je pense que les Français qui subissent les désengagements successifs de l’assurance-maladie et la dérégulation tarifaire ne seraient pas hostiles à de vraies réformes.
Vos rapports avec les médecins n’ont pas été simples. Vous êtes parfois apparu comme un adversaire de la médecine libérale…
La médecine libérale n’a pas été capable de se réformer, au détriment des médecins eux-mêmes. J’ai toujours pensé que dans un bon système de santé, les professionnels devaient être parfaitement reconnus, rémunérés à la hauteur de leurs responsabilités, valorisés dans leur exercice… Mais aujourd’hui, la médecine libérale doit-elle encore fonctionner sur la base d’un texte de 1927 qui stipule que le médecin est dans un colloque singulier avec son malade et qu’il est payé à l’acte ? C’est dépassé. Je sais que beaucoup de médecins libéraux voudraient que les choses bougent. Je ne suis pas pour fonctionnariser les médecins mais leur rémunération doit être adaptée, de même que le périmètre des tâches, les conditions d’installation.
Vous avez écrit en 2000 un ouvrage intitulé « Notre santé n’est pas un commerce ». Pensez-vous que les gouvernements ont accéléré la marchandisation de la santé ?
Ils n’ont rien fait pour freiner la dérive. On connaît partout des abus en matière de dépassements d’honoraires, y compris dans des établissements publics où des chirurgiens réclament à des malades atteints de pathologies vitales des dépassements considérables pour les opérer plus rapidement dans le cadre de leur secteur privé. C’est choquant.
Ces dernières années, les mutuelles ont été accusées de manquer de transparence, de faire des réserves... Cela n’a-t-il pas nui à l’image du monde mutualiste ?
Des parlementaires de la majorité ont lancé ce débat au moment de la mise en place de taxes nouvelles sur les complémentaires. Ils ont essayé de faire croire aux Français que les mutuelles pouvaient supporter ces taxes sans augmenter les cotisations. C’est de l’intoxication ! Les accusations d’opacité des mutuelles ont été mises en pièces par plusieurs études. Quant aux réserves des mutuelles, très raisonnables, elles sont obligatoires et le principe a été voté par ceux qui nous les reprochent. J’ajoute qu’on a rendu plus lisibles les contrats mutualistes. Il est facile de chercher des boucs émissaires… Mais c’est le problème du financement du système de santé qui est posé.
Quel est votre plus grand regret ? Votre principale fierté ?
Je suis fier de laisser une organisation rassemblée, acteur incontournable du système de santé français. Mon regret est de n’avoir pas trouvé les moyens de peser davantage, de façon opérationnelle, sur les évolutions du système de santé. De ce point de vue, la politique de conventionnement que nous sommes en train de lancer, en commençant avec les établissements hospitaliers, sera sans doute un levier d’action puissant. Demain, on pourra orienter nos adhérents vers des services et des établissements qui non seulement respectent des normes et des critères de qualité mais aussi des tarifs maîtrisés. Je regrette de ne pas avoir pu le faire plus tôt.
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