ILS ONT TOUS démissionné, ou presque. Une quarantaine d’experts externes (infectiologues, pédiatres, microbiologistes, hématologues, réanimateurs...), tous membres du groupe de travail sur les anti-infectieux (GTA), chargés d’actualiser les recommandations sur les infections ORL.
Motif de ce ras-le-bol inédit et au grand jour : le Pr Dominique Maraninchi, patron de l’AFSSAPS, a refusé, dans un courrier daté du 7 décembre, de publier les recommandations élaborées par le groupe de travail. « Ces recommandations correspondent sans contexte à un besoin de santé publique », admet pourtant le Pr Maraninchi dans un courrier adressé aux experts. Mais, ajoute-t-il, « vous comprendrez que l’AFSSAPS ne puisse en aucun cas les porter dans la mesure où plusieurs experts qui ont participé à leur conception ont des liens d’intérêt avec des firmes pharmaceutiques concernées. Il ne s’agit pas d’une question morale mais d’engagement dans l’indépendance et la responsabilité que doit garantir l’Agence dans ses décisions ».
La santé publique...et l’image d’une agence.
La décision du Pr Maraninchi (refus de valider et de mettre en ligne cette recommandation avec le label de l’AFSSAPS) est jugée incompréhensible par les experts du GTA, pour lesquels le parcours habituel de la validation des recommandations a été respecté. D’autant que selon le Dr Rémy Gauzit, membre du groupe de travail, les recommandations élaborées consistent essentiellement à « réduire la consommation d’antibiotiques, et à préconiser pour la quasi-totalité des patients la prise d’amoxicilline ou d’amoxicilline-acide clavulanique, molécules génériquées depuis plus de dix ans, et commercialisées chacune par plus de dix laboratoires ». On voit mal dans ces conditions comment ces « recos » pourraient dissimuler un conflit d’intérêt, conclut en substance Rémy Gauzit. Il assure que les membres de son groupe sont « tous d’accord à 100 % pour faire de la transparence en déclarant leurs liens ». « Mais, précise-t-il, tout lien ne constitue pas un conflit, et il faut que cette transparence colle à la vraie vie. Il faut donc définir parmi les liens d’intérêt ceux qui sont compatibles avec l’expertise ».
La modification des règles du jeu pour évaluer les conflits d’intérêt ne passe pas. Pour les experts démissionnaires, le patron de l’Agence anticipe une loi médicament non encore votée. « Nous avons tous remis nos déclarations publiques d’intérêt actualisées à l’AFSSAPS lors de la constitution du GTA il y a plus d’un an, et ils n’y ont rien trouvé à redire », ajoute le Dr Robert Cohen, président de ce groupe de travail jusqu’à sa récente démission. Pour lui, « annuler cette recommandation alors qu’elle est prête, qu’il ne s’agit que de bon usage, et que les médicaments dont elle préconise l’usage sont tous génériqués depuis au moins cinq ans, prouve que l’AFSSAPS et son président sont bien moins préoccupés par la santé publique que par l’image de l’institution ».
Dans leur courrier de démission, les experts jugent la situation « ubuesque ». Robert Cohen évalue à « plusieurs centaines d’heures » le travail qu’il a effectué au sein de ce GTA, et précise que sa rémunération totale n’a pas excédé quelques centaines d’euros en tout. De son côté, le Pr Jean-Paul Stahl, membre lui aussi du GTA, prophétise : « Dans peu de temps vont sortir deux autres recommandations, l’une sur le traitement des infections urinaires, et l’autre sur l’utilisation des fluoroquinolones. Elles doivent sortir courant janvier et vont sûrement suivre le même chemin que la nôtre ».
Effet boule de neige ?
Les membres du GTA ne comptent pas en rester là. Vendredi, ils ont fait parvenir un mail à l’ensemble des membres de la commission d’Autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’AFSSAPS pour leur exposer leur point de vue, et les inviter à suivre leur exemple en démissionnant de cette commission. « Chaque groupe de travail de l’AFSSAPS a des représentants qui siègent à la commission d’AMM, explique Rémy Gauzit. Nous souhaitons qu’un maximum de gens nous suivent dans notre démarche car nous ne pouvons plus travailler comme ça ».
Contacté par « Le Quotidien », le Pr Maraninchi livre sa version des faits. Il rappelle que, depuis son arrivée à la tête de l’Agence en mars dernier, il a modifié ses règles de fonctionnement sans attendre la loi de Xavier Bertrand, notamment en matière de transparence des liens d’intérêt et des décisions prises.
« Je sais bien qu’ils ont produit leur déclaration d’intérêt il y a plus d’un an, mais moi je ne suis là que depuis mars, et je prends les décisions quand elles me sont soumises », réplique-t-il aux experts qui s’étonnent que leur recommandation n’ait été retoquée qu’au moment de sa publication. Le Pr Maraninchi ajoute qu’après avoir constaté que des liens d’intérêt existaient au sein du GTA, il n’a pu faire autrement que de refuser de la publier « car les décisions de l’AFSSAPS ne peuvent être entachées de soupçon, même s’il n’est évidemment pas question de remettre en cause l’intégrité morale de ces experts ».
Selon lui, « l’AFSSAPS utilise une grille de lecture des liens d’intérêt, et dans le GTA, il y en avait suffisamment pour rendre leur recommandation caduque ». Mais surtout, Dominique Maraninchi prévient : « On ne peut plus être expert et avoir des liens d’intérêt. Je recommande à ceux qui veulent faire de l’expertise d’abandonner provisoirement ces liens avant de collaborer à une Agence ».
Et en écho à la FDA (l’équivalent américain de l’AFSSAPS) qui souhaite, elle, assouplir la réglementation sur les liens d’intérêt de ses experts (voir ci-dessous), le Pr Maraninchi souligne que l’agence européenne du médicament (EMA) va faire voter par son conseil d’administration une disposition obligeant ses experts à être vierges de tout lien avec l’industrie pharmaceutique. « Les temps changent », conclut le patron de l’AFSSAPS.
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