« IL FAUT DISTINGUER deux aspects dans la gestation pour autrui. Il y a, d’un côté, la souffrance d’un couple qui ne peut pas avoir d’enfant, problème que nous ne connaissons malheureusement que trop, puisque près de 40 % des couples qui recourent à la PMA n’ont pas d’enfant malgré un certain nombre de tentatives. L’échec fait partie du quotidien et je comprends la souffrance des femmes, particulièrement de celles qui n’ont pas d’utérus ou plus d’utérus fonctionnel.
Le problème est de l’autre côté. Pour satisfaire son propre désir, on propose d’utiliser une personne. Cela me gêne sur le principe, car c’est une forme d’aliénation, une aliénation physique et sans doute psychologique. Il n’y a pas uniquement la personne qui va porter, il y a aussi ses enfants (tout le monde s’accorde sur le fait que si mère porteuse il y a, elle serait déjà mère, NDLR). Par ailleurs, on fait comme si ces grossesses étaient sans complication, on oublie les 15 % de césariennes, les montées laiteuses, les dépressions post-partum : il y a une vision très idyllique de l’utilisation de l’autre.
Sur le plan éthique, c’est un principe permissif qui autorise toutes les démarches marchandes pour résoudre une cinquantaine de cas. Je doute de la réalité d’une absence de commerce, ayant vu de près comment se passent les choses : il y a ce qui se voit et ce qui ne se voit pas. J’ai suivi des femmes qui ont accouché dans ce cadre et je suis on ne peut plus inquiet. Ce qui me gêne, aussi, c’est de définir les critères qui permettent de sélectionner les femmes qui sont bien pour porter ou pour recevoir.
Ouverture sur l’altérité.
Mais, sans même parler du comment, un de mes arguments les plus personnels, c’est de constater que ce qui motive cette mise en danger d’une tierce personne, ce risque avec la commercialisation, ce bouleversement pour des enfants qui voient leur mère grossir sans connaître le bébé qui naîtra et pour l’homme qui l’accompagne, c’est la satisfaction d’une demande génétique. Si je suis le premier à la comprendre, je sais aussi qu’une demande génétique est loin d’être satisfaite dans toutes les fécondations in vitro. Face à ces échecs, nous essayons de nous tourner vers d’autres solutions : le don d’ovocyte, le don d’embryon ou le don de sperme, selon les cas. On parle alors aux couples d’une ouverture sur l’altérité. Le patrimoine génétique est certes quelque chose mais il est mêlé dans l’intentionnalité et le geste. Cela nous amène à tenir un discours contradictoire : d’un côté, il faut que ce soit l’enfant génétique du couple et on dit à la femme qui porte l’enfant de ce couple que la grossesse n’a pas d’importance, qu’aucun lien ne se crée, qu’elle va pouvoir s’en détacher facilement parce qu’elle ne l’a pas investi. De l’autre, on dit à une femme qui va recevoir un don d’ovocyte que ce qui est important ce n’est pas l’aspect génétique mais le lien qu’elle va tisser pendant la grossesse, le fait qu’elle va accompagner l’enfant et l’élever.
Au premier abord, on ne voit pas pourquoi on serait contre la gestation pour autrui, car il y a la volonté de satisfaire les couples, mais avec le recul, on se rend compte que l’on s’engouffre dans une idéologie extrêmement dangereuse, celle du tout génétique, qui aboutit à une survalorisation du soi. Et si l’on accepte ça, je ne vois plus pourquoi on n’accepte pas le clonage. Le clonage reproductif est fondé sur les mêmes souffrances, l’impossibilité de concevoir un enfant de soi. Je pense que c’est un resserrement et un appauvrissement de la société : le fait de résoudre 50 cas ou pas ne change rien sur le plan pratique, en revanche, il altère fortement la réflexion éthique d’une société qui va être soumise de plus en plus à toutes sortes de possibles et de propositions. Ou bien on tombe dans l’ultra-individualisme, où tout est permis à condition d’en avoir les moyens, ou bien il y a des règles sociales qui maintiennent l’équilibre et qui permettent de se tourner vers l’autre et d’accepter les différences, loin de la sacro-sainte génétique.
* Chef du service gynéco-obstétrique-reproduction de l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart.
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