« La particularité de ce sujet est qu’il y a de bons arguments des deux côtés. L’espèce humaine est embarquée sur un train à grande vitesse et il est vrai que ce changement représente un risque. Mais le risque d’autoriser au cas par cas ne me semble pas plus grand que celui de continuer à tout interdire. Le tout interdit a un avantage, c’est qu’il est simple. Il a un inconvénient : il pousse les couples à l’étranger et à faire des bricolages inacceptables qui les mettent en péril mais surtout leur enfant et les femmes qui s’y soumettent dans des conditions que nous pourrions critiquer sur le plan éthique. Le fait d’accepter au cas par cas ouvrirait la porte à la discussion. Lorsque le recours à la GPA serait refusé, cette réponse imposerait aux couples de se demander s’ils doivent aller au-delà et partir à l’étranger.
Il y a des demandes de GPA dont on pourrait dire qu’elles sont légitimes et d’autres illégitimes pour une large majorité de Français. Exemple de demande légitime qui nous a été faite il y a deux ans : une jeune femme de 27 ans accouche, ça se passe mal, elle manque de mourir. Pour la sauver, on lui enlève son utérus et pendant cette opération, son enfant meurt. Ils ont 27 et 28 ans, pas d’argent, tous les deux sont ouvriers. Trois femmes de son travail se proposent pour porter son enfant, sa sur aussi. J’aurais tendance à dire que s’entêter dans un refus frénétique n’est pas non plus éthique. À l’autre extrême, il y a des patientes qui font une demande de confort ou celles ayant déjà des enfants, puis s’étant remariées, qui n’ont plus la possibilité de faire un enfant à leur second mari, si j’ose dire. Ce sont des circonstances où tout nous appelle à être raisonnable et à dire non.
Entre le tout-interdit et le tout-permis, la règle du juste milieu me semble la meilleure règle de la bioéthique. Nous faisons déjà du cas par cas dans le diagnostic prénatal. Depuis dix ans, nous avons 12 000 dossiers en France de malformations qui sont analysés par 48 centres pluridisciplinaires : 6 000 en arrivent à l’interruption médicale de grossesse et il y a une remarquable homogénéité entre les décisions de Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg, etc. On n’avorte pas pour un bec-de-lièvre, en France, même si la femme le demande.
Des comités régionaux.
Je pense qu’il faudrait instituer le même système pour les grossesses pour autrui : mettre en place des centres pluridisciplinaires régionaux, composés pour moitié de professionnels et de non professionnels, pour moitié d’hommes et de femmes. Ils auraient pour charge d’explorer le consentement et les motivations de la femme qui se propose pour être porteuse, d’examiner son risque obstétrical et l’indication de GPA du couple demandeur. Ces comités transmettraient un avis favorable ou défavorable à un comité national qui, in fine, l’interdirait ou l’autoriserait. Il y a probablement une centaine de cas par an pour lesquels un avis favorable serait raisonnable.
Pourquoi interdire à trois personnes adultes de s’entendre entre elles pour organiser que l’une rende un service à l’autre ? Que veut protéger le législateur en restreignant les libertés individuelles ? Nous sommes habitués à la paternité pour autrui depuis des millénaires. En revanche, depuis le droit romain, on sait que « mater semper certa est ». La maternité pour autrui ébranle un des fondements de notre société, la dernière certitude en matière familiale. Quand j’entends un juriste me demander : « Alors, c’est quoi, la vraie maternité : la maternité génétique ou celle de portage ? » Je réponds : « Ni l’une ni l’autre, c’est la maternité psychique c’est-à-dire la maternité adoptive. »
Le Pr Frydman a un bon argument, que je critique : il met en garde contre le primat du biologique. Il a raison de s’inquiéter que notre société fonce tête baissée vers la nouvelle vérité qu’est l’ADN et que les gens accordent une telle importance à l’idée de transmettre la chair de leur chair. Mais je vois dans ma consultation des couples pour qui ça n’est tout simplement pas acceptable de ne pas transmettre leurs marques biologiques. »
* Coordonnateur du pôle gynéco-obstétrique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg.
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