LA MER à perte de vue. Sans un navire à l’horizon. Ou si rarement. Tous les quatre mois pour le navire ravitailleur qui apporte le courrier, un peu de sang neuf et des idées de départ. De temps en temps, aussi, un bateau de pêche venu faire le plein de langoustes. Et des otaries. Partout, de toutes tailles. Tapies à l’ombre de grandes herbes et prêtes à mordre qui pénètre leur périmètre de sécurité ou jouant dans l’eau en accueillant avec bonhomie celui qui les rejoint dans leur élément de prédilection.
Hivernage.
À la lisière des 40 e rugissants, au sud-est de La Réunion, dans l’océan Indien, Amsterdam est l’une des quatre îles australes françaises, ces terres dont la France a pris possession au XVIII e siècle et dont elle a fait en 2006 sa plus grande réserve naturelle. Un outre-Mer où ne résident qu’une poignée de scientifiques, de militaires et de personnels chargés de la logistique des bases. C’est là qu’Hélène Rousselot est en passe d’achever son « hivernage », une année comme médecin de la base Martin-de-Viviès : chirurgien, dentiste et psychologue des 25 humains de l’île.
À 39 ans, après dix années à effectuer des remplacements, notamment dans l’Ouest, après avoir travaillé pour le service de vaccination de la ville de Paris et pour une association d’aide aux demandeurs d’asile, cette médecin généraliste parisienne avait « envie de quelque chose de différent ». À la faveur d’une exposition organisée pendant l’année polaire, elle a découvert la Terre Adélie et ses manchots. Et son besoin de praticiens, renouvelé chaque année. Elle a poussé la porte du service médical des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) en mars 2008. Un mois plus tard, elle était sélectionnée par le médecin-chef parmi une quinzaine de candidats. Direction Amsterdam, choisie par elle pour sa petite population, comparée aux Kerguelen, le plus célèbre district des TAAF, son climat un peu moins rude et sa végétation un peu plus étoffée : Amsterdam est la seule île des TAAF où des arbres ont réussi à se dresser malgré les vents incessants, grâce à la protection de tunnels de lave éventrés.
Mais avant de rejoindre sa base, en décembre 2008, la jeune femme a dû se former à la chirurgie et à la dentisterie. Lors d’un stage de trois mois à l’hôpital d’instruction des Armées Begin (Saint-Mandé). Pendant son année à Amsterdam – et pendant un an supplémentaire lorsqu’elle rentrera en métropole –, si elle le souhaite, Hélène Rousselot est en effet sous statut militaire.
À la tête d’un petit hôpital, épaulée par une équipe qu’elle a dû elle-même former à l’anesthésie et aux rudiments de chirurgie, elle doit faire face à toutes les éventualités. Aucune évacuation rapide n’est envisageable : le premier hôpital est à 2 800 km, cinq jours de mer, et l’île n’a pas de piste d’atterrissage.
L’acquisition des gestes de survie était ainsi primordiale. Mais la médecin estime que sa formation a été trop légère. « J’ai été très bien encadrée en anesthésie, raconte-t-elle. Moins en chirurgie. À Begin, il y avait beaucoup de clioscopie, ce qui est assez improbable à Amsterdam. Je n’ai eu aucune appendicite à faire, aucune hernie étranglée, et je n’ai pas répété les actes utiles. J’étais assez en colère en fait. Il aurait fallu faire deux mois de bénévolat en Afrique pour me former correctement. » Le jugement est sévère. Mais pas autant que pour la dentisterie : « Nul. »« Je n’ai même pas fait les gestes, explique Hélène Rousselot. Je n’ai pas touché aux roulettes. Je n’ai fait que fouler l’amalgame… »
La vie partagée avec les patients.
Il y a dix mois, la jeune femme a ainsi débarqué à Amsterdam avec pas mal d’appréhension. Et trois jours seulement pour prendre les consignes de son prédécesseur. « Quand on vient ici, on sait qu’on va assumer un risque, continue-t-elle. Je fais de mon mieux, mais je sais que je ne serais pas dentiste d’ici la fin du séjour. » Pour pallier ces méconnaissances, l’hôpital de la base est bien fourni en ouvrages. Elle peut également faire appel au médecin-chef des TAAF ou au centre de régulation des sauvetages en mer. Malgré la pression, les premiers actes sont arrivés. Et ils se sont bien déroulés.
La jeune femme a également dû apprendre à gérer une proximité étroite avec ses patients. « Ce ne sont pas des inconnus, commente-t-elle encore. Je partage la vie de la base avec eux. » Et de continuer : « Ce n’est pas toujours simple. Il peut y avoir l’intimité d’une consultation juste après ou juste avant de manger ensemble. Il faut que chacun fasse la part des choses. Mais de toute façon, on perd une bonne part d’objectivité parce qu’on est soi-même dans la vie de la base. »
Pas totalement, néanmoins. Alors qu’elle aurait souhaité s’impliquer dans d’autres tâches, son statut ne lui permet pas autre chose que de veiller sur les plantations du bois de phylica, un arbre endémique de l’île. Et quand elle quitte la base – rarement – pour participer à une manipulation scientifique, cette dernière est déclarée morte, tout travail à risque y est prohibé.
Résister à la routine.
Sur un plan plus personnel, l’aventure d’Hélène Rousselot est aussi celle de l’éloignement des siens. Avec l’impossibilité de revenir rapidement vers eux s’il se passait quelque chose. Une source d’angoisse commune aux hivernants. Que certains combattent par la nourriture, d’autres par l’alcool. Des syndromes décrits de longue date et dont cette généraliste a été avertie, en même temps qu’on la prévenait qu’elle ne verrait ni pathologies ORL ni gastros pendant un an : le climat des îles subantarctiques et leur isolement les rendent très improbables.
À la veille de rentrer, Hélène Rousselot n’a pas eu à gérer d’intervention lourde, uniquement de la dentisterie et de la bobologie. Dans la plus septentrionale des terres australes, plus clémente que Crozet et Kerguelen, elle n’a pas non plus rencontré le fameux syndrome d’hivernage. « La plupart des hivernants ont su résister à la routine et l’ennui d’un séjour prolongé », explique-t-elle. Et elle a rempli sa mission : maintenir un groupe en bonne santé.
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