Restriction des visites auprès des patients des hôpitaux ou des résidents d'Ehpad, interdiction des soins du corps, obligation de mise en bière immédiate, campagnes de dépistage ou de vaccination menées sans avoir les moyens de recueillir le consentement des personnes, déprogrammation ou priorisation des malades…Les soignants ont été confrontés à de nombreux dilemmes lors de la pandémie de Covid-19, d'autant plus difficiles à vivre que les règles ont été imposées d'en haut sans l'once d'une concertation. La crise a révélé les fragilités de la démocratie sanitaire, promue dans la loi, mais foulée aux pieds sitôt que l'urgence et la sidération s'imposent.
Pourtant, dès le printemps 2020, à l'appel du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans son avis du 13 mars, des cellules de soutien éthique (CSE) se sont constituées, essentiellement au sein des espaces de réflexion éthique régionaux (Erer).
Comment des démarches éthiques ont-elles pu être créées en pleine crise sanitaire ? En quoi les CSE représentent-elles une innovation sociale et politique qui fasse le lien entre les acteurs de terrain et les autorités politiques ? C'est tout le questionnement de l'étude Pantere (pour Pandémie territoires et éthique), portée par le groupe de recherche Anticipe (Inserm/Université Caen Normandie) en partenariat avec la Conférence nationale des espaces de réflexion éthique régionaux (Cnerer).
Éclairer les tensions, jouer le rôle de vigie
De l'analyse des travaux - multiformes - de 14 CSE entre mars 2020 et le printemps 2021 émerge une première évidence : l'urgence de la pandémie, loin d'étouffer le besoin d'éthique, l'a au contraire accentué. Face à la perte de sens que pouvaient ressentir les soignants qui manquaient de tout, les CSE sont apparus comme des lieux privilégiés de réflexion collégiale sur le bien faire. Surtout lorsque les établissements n'avaient pas d'espace de réflexion : ainsi, les Ehpad, et plus largement le médico-social, les ont particulièrement sollicitées, ce que n'avait pas anticipé le CCNE.
Quelles réponses ont pu apporter ces CSE ? D'une part, elles ont éclairé les tensions particulières évoquées par les équipes, sans jamais franchir la ligne rouge méthodologique que serait la prise de décision, est-il souligné dans l'étude : « Le soutien éthique vise à explorer les questions, non à proposer des réponses. »
Un infléchissement des règles autour de la fin de vie
D'autre part, les CSE ont hissé la réflexion du singulier au collectif et ont privilégié l'éthique organisationnelle à l'éthique clinique (qui revient aux structures éthiques des hôpitaux). Par exemple, sur des sujets liés à la priorisation des patients, les CSE renvoyaient à l'expertise des équipes, tout en appelant à développer une culture éthique générale des choix d'allocation de ressources.
Elles ont ainsi rempli un rôle de vigie, allant jusqu'à infléchir des politiques publiques prises initialement sans consulter les acteurs de terrain.
Ce fut le cas notamment pour la question des toilettes mortuaires, interdites par le décret du 1er avril 2020, qui impose en outre la mise en bière immédiate des cas de Covid (probables ou avérés). Les CSE ont été destinataires de nombreux témoignages d'incompréhension, voire de révolte, à l'encontre de cette décision perçue comme arbitraire et indigne. Une semaine plus tard, Erer, Cnerer et CCNE rencontraient les autorités et des modifications ont été apportées dès le 1er mai suivant.
Idem pour les règles draconiennes sur les sorties et les visites des résidents d'Ehpad, en particulier lors des fins de vie : les très nombreuses saisines des CSE, reflet de souffrances réelles sur le terrain, ont pu être remontées aux autorités.
Vers une feuille de route
Ainsi, le travail des CSE a-t-il pu insuffler plus de justice et d'humanité en se faisant l'écho du vécu des soignants et des patients et usagers. Fait notable, la crise a levé la barrière entre professionnels, soucieux d'éthique, et usagers, attentifs au respect des droits des patients et de la démocratie sanitaire. « Il est apparu clairement que les interrogations étaient communes, nées des mêmes épreuves, et pouvaient donc recevoir des repères d’analyse et des solutions partagées », lit-on.
En réponse à l'étude Pantere, la direction générale de l'offre de soins (DGOS), qui l'a financée, s'est engagée fin janvier à publier une « feuille de route pour le développement de l’éthique », associant CCNE, Cnerer, Erer et ministère de la Santé. Ont été définies comme priorités le renforcement des missions d'observatoire et d'expertise des Erer et leur intégration à la définition des politiques publiques, le développement de la formation des professionnels de santé à l'éthique et « la possibilité de la faire vivre au sein de la démocratie sanitaire ».
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