C’est un centre d’ophtalmologie sans médecin sur place. Il y a un an, pour endiguer la désertification médicale et les graves difficultés dans l'accès aux soins visuels, l’entreprise Point Vision s’est associée à l’Assurance-maladie pour lancer une expérimentation inédite : installer dans la petite ville de Saint-Quentin dans l’Aisne un premier centre de télé-ophtalmologie, site secondaire rattaché à Lille.
Pudiquement appelé « poste avancé en ophtalmologie », le centre de télémédecine promettait de fournir une offre de soins visuels aux habitants, en proie à des délais d’attente « de plus de six mois pour un ophtalmo », explique la Dr Béatrice Berteaux, maire adjointe de la commune, en charge de la santé.
Confiance envers les orthoptistes, 21 jours de délai
Un an plus tard, « plus de 2 200 téléconsultations » ont été réalisées dans le centre expérimental. « La plupart des patients n’avaient plus aucune prise en charge ophtalmologique jusqu’alors », souligne le Dr François Pelen, ophtalmologiste et président du groupe Point Vision.
Selon les résultats de cette expérimentation, le délai moyen de rendez-vous s'est stabilisé à « 21 jours » ; et 80 % des patients venant simplement pour un bilan visuel (renouvellement de lunettes ou de lentilles) ont obtenu sans délai leur prescription. « Les patients ont rapidement trouvé le chemin avec un taux de remplissage des rendez-vous proposés de 90 % en moyenne », détaille le cofondateur.
Le mode d'exercice est basé sur la confiance envers l'orthoptiste au sein du poste avancé. Seule professionnelle de santé présente physiquement sur place, cette orthoptiste réalisait mesures, photos du fond d’œil ou tension oculaire. À 100 km de distance, le dossier du patient était adressé à Lille, dans le bureau de la Dr Ghita Guedira, ophtalmologiste salariée du centre Point Vision de Lille-Lesquin. La spécialiste lilloise recevait le patient en téléconsultation, dans une pièce isolée. « La téléconsultation ne peut pas se faire sur un simple ordinateur, d’un côté comme de l’autre, il faut un très grand écran, haute définition », précise le Dr Pelen. Les téléconsultations étaient facturées 50 euros, en secteur II.
Dans 40 % des cas, suivi… en présentiel
Après 12 mois d’expérimentation, la Cnam tire un bilan positif du centre de Saint-Quentin. « La mise en place d’un poste avancé de centre ophtalmologique améliore l’accès aux soins tout en garantissant la qualité des soins dispensés », indique l'Assurance-maladie, qui a suivi pendant un an une dizaine d’indicateurs autour de l’intérêt médical de la téléconsultation, de la sécurité et de la qualité des soins.
Tous les trois mois, des comités de pilotage – réunissant médecins de la Cnam, de Point Vision et de la caisse locale – se sont réunis pour suivre l’expérimentation. Le taux de satisfaction des patients atteint 99 %. Côté médical surtout, le centre a permis en un an le dépistage de « 240 glaucomes et 220 cataractes, 18 rétinopathies diabétiques et 35 DMLA ». « On ne s’attendait pas à avoir autant de pathologies oculaires », confie le Dr François Pelen.
Dans 40 % des cas, la téléconsultation initiale a débouché sur une consultation physique. « Ces patients ont été pris en charge par la suite avec la même ophtalmologiste lilloise, qui venait en visite une fois tous les 15 jours à Saint-Quentin », explique l'entrepreneur. Cette approche régionale pour gérer les cas graves ou à risques est cruciale, tout poste avancé en ophtalmologie devant être au maximum à une heure de distance du centre principal. Dans 87 % des cas, les consultations en présentiel étaient motivées par une « suspicion de pathologie ». « On ne peut pas prendre en charge à distance des pathologies qui réclament des examens en profondeur », admet le Dr Pelen. À noter que dans 4 % des cas, la téléconsultation n’était pas concluante, en cas de cycloplégie notamment.
Régionalisation requise
Si aucun évènement indésirable grave n'a été à déplorer à ce stade, selon la Cnam, dans de rares cas, l’ophtalmo a dû réorienter des patients vers l’hôpital de Saint-Quentin. « D’où la nécessité absolue de "régionalisation" pour ces téléconsultations, souligne François Pelen, qui voit la territorialisation comme une condition sine qua non de réussite de l’expérimentation. Comment voulez-vous assurer la continuité des soins si vous êtes à plusieurs centaines de km ? ». C'est cette approche de proximité qui a convaincu l'Assurance-maladie de s'engager dans cette démarche.
Quant aux relations avec les ophtalmologistes libéraux installés aux environ de Saint-Quentin, elles seraient pacifiées. « Nous les avons tous contactés avant d’installer le centre, c’est même la première chose que l’on a faite », assure le Dr Pelen. Alors que 70 % des spécialistes du secteur ne prenaient plus de nouveaux patients, « l’ouverture du centre les a plus soulagés qu’autre chose », assure l'entrepreneur. « L’idée n’est absolument pas de faire de la téléconsultation là où il y a déjà des médecins ! ».
Trois nouveaux centres dès 2022
Fort de ces résultats prometteurs, le centre de Saint-Quentin devrait être maintenu. D’autant que, depuis la signature de l’avenant 9 (été 2021), la clause dérogatoire qui bénéficiait à l’expérimentation est entrée dans le droit commun. Le Dr Pelen voit plus loin et anticipe déjà « l’installation d’une centaine de ces postes avancés en ophtalmologie dans les dix prochaines années ».
Trois nouveaux devraient sortir de terre d’ici à fin 2022, « mais systématiquement dans des déserts médicaux et toujours à moins d’une heure d’un grand centre pour que le médecin puisse se déplacer ». Et si, à force d’aller-retour, « l’ophtalmo a finalement envie de s’installer dans la ville, c’est encore mieux ! ».
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