LE QUOTIDIEN : L’ARN messager (ARNm) est une molécule fragile dont les processus de dégradation sont omniprésents dans le corps humain. Comment vous y êtes-vous pris pour protéger l’ARNm jusqu’à son entrée dans la cellule cible ?
KATALIN KARIKO : C’est amusant car pendant des années j’ai dû rassurer des gens en leur expliquant que l’ARNm que nous injectons a une durée de vie courte mais suffisante pour être traduit en protéine. Maintenant, il semble que la principale crainte des gens soit que l’ARNm reste trop longtemps et modifie le fonctionnement de la cellule (rire).
Quand j’étais en Hongrie, à la fin des années 1970, j’utilisais déjà des liposomes pour conserver des acides nucléiques, de l’ADN à l’époque. C’est une technique qui était déjà connue depuis quelque temps. Dans le cas plus particulier de notre vaccin anti-Covid, la nanoparticule est composée de quatre lipides aux fonctions différentes : protection, entrée dans la cellule et fusion avec l’endosome.
La prévention du risque inflammatoire est-elle aussi une fonction assurée par ces liposomes ?
Le caractère inflammatoire de l’ARNm est très spécifique à l’homme. J’ai travaillé pendant plus de 10 ans sur des modèles animaux sans jamais observer un tel phénomène. Quand mon collègue le Dr Drew Weissman a découvert que l’homme produisait de grande quantité de TNF et d’autres cytokines inflammatoires lors d’injection d’ARNm, j’ai été choquée : tout que ce que j’étais en train de développer était inutile !
J’ai cherché un moyen de contourner le problème et de comprendre pourquoi l’ARNm ne provoquait pas une telle réaction une fois dans la cellule. La solution nous est finalement venue en observant les ARNt (les ARN de transfert étant nécessaires à la traduction de l’ARNm en protéines) qui ne provoquent pas de réaction immunitaire. Il se trouve qu’environ un quart des nucléosides des ARNt sont modifiés, c’est là que se trouvait la clé.
Nous ne savions pas laquelle parmi la centaine de modifications répertoriées dans l’ARNt était réellement impliquée, nous avons donc fait de nombreux essais avant de découvrir qu’il fallait appliquer trois modifications à l’uridine pour supprimer l’immunogénicité de l’ARNm.
Pensez-vous que l’ARNm, en tant que thérapie, aurait pu émerger s’il n’y avait pas eu l’épidémie de Covid-19 ?
Je pense que oui. Même si le public ne s’y intéressait pas, la communauté de l’ARNm se rencontrait déjà régulièrement en Allemagne avant l’épidémie. L’année dernière, plus de 600 chercheurs étaient présents. Bien sûr, dans la plupart des cas, nous n’en étions qu’à l’étape de l’expérimentation animale, mais la technologie arrivait à maturation. Il y a trois ans par exemple, trois chercheurs nous avaient déjà présenté un candidat vaccin contre le paludisme. Moderna menait des essais cliniques de vaccin contre la grippe avec un ARNm contenant de la pseudo-uridine, à l’aide d’un vecteur identique à celui qu’ils ont utilisé contre le Covid-19. Le vaccin contre le cytomégalovirus était également bien avancé quand la pandémie a débuté.
En 1996, vous avez travaillé sur un vaccin contre le VIH. Pensez-vous que cette maladie infectieuse puisse prochainement profiter d’un vaccin à ARNm ?
Le vaccin sur lequel je travaillais à l’époque était un vaccin à ARN double brin non complémentaire. Le principal problème avec ce concept-là est que la fenêtre thérapeutique est trop étroite : si la dose est trop forte, les effets secondaires sont trop importants. Si elle est trop faible, le vaccin n’a aucun effet. Je ne pense pas que les vaccins à double brin produisant de l’interféron vont déboucher sur un traitement.
En revanche, on peut imaginer un traitement à ARNm qui permette de bloquer d’une manière ou d’une autre la production du récepteur CCR5, ce qui aurait pour conséquence de guérir les patients.
Quels sont les défis à relever pour mettre au point un vaccin à ARNm qui soit efficace dans le traitement du cancer ?
Dans les années 1990, tous les travaux sur l’ARN étaient focalisés sur les maladies infectieuses, mais maintenant, ce sont surtout les cancers qui intéressent les sociétés comme BioNTech, Moderna ou même CureVac qui a été créée dans ce but.
Le principal défi est de déterminer la cible. Ce n’était pas un problème pour le SARS-CoV-2 car la protéine Spike était particulièrement bien décrite. Mais dans le cancer, il y a tellement de mutations différentes ! C’est la raison pour laquelle la recherche avance si lentement.
L’autre différence est que contrairement à notre vaccin contre le Covid-19, il est moins crucial d’éviter l’inflammation, dans la mesure où les cytokines vont aider à recruter des cellules immunitaires contre la tumeur.
Un autre défi, plus personnel celui-là, est que ces nouveaux traitements soient abordables. Il y a beaucoup trop de patients et de médecins qui ont actuellement des problèmes avec les immunothérapies du cancer.
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