L’année dernière, face à la modification des habitudes de vie sous l’effet des restrictions liées au Covid-19, les craintes étaient non seulement d’observer une augmentation notable des consommations de divers produits mais aussi de voir apparaître de nouveaux comportements à risque. S’il s’avère que l’alcoolisme, le tabagisme et l’utilisation de diverses substances n’ont pas explosé dans la population générale pendant le confinement de 2020, les conséquences de la crise sur l’émergence de nouvelles dépendances comportementales sont encore floues.
Écrans, jeux vidéo et jeux d'argent
Certes, des alertes ont été émises sur la tendance en particulier des adolescents à augmenter significativement leur utilisation des écrans. Une dynamique d’autant plus inquiétante que celle-ci apparaissait déjà importante avant la crise. En effet, comme l’a montré la dernière enquête Espad (European School Survey Project on Alcohol and other Drugs), en Europe, dès 2019, plus de 90 % des élèves interrogés déclaraient utiliser ne serait-ce que des réseaux sociaux en moyenne 2 à 3 heures par journée d’école, et plus de 6 heures les autres jours.
De plus, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a relevé dans l’Hexagone une hausse très nette de l’utilisation de jeux d’argent en ligne (gambling) pendant le confinement. Ce qui pourrait concerner les adolescents, puisqu’en 2019, selon l’enquête Espad, près de 10 % des jeunes européens avaient déjà joué en ligne pour de l’argent.
Toutefois, il est encore trop tôt pour savoir si ces phénomènes se sont véritablement soldés par des dépendances. En effet, « , puisqu’il était alors toléré que des enfants, qui ne pouvaient pas sortir, jouent plus longuement que d’habitude : c’est maintenant, alors qu’il faut retourner en cours, que des dépendances peuvent se révéler », explique le Dr Phan, pédopsychiatre addictologue clinicien (Sceaux). De même, dans le reste de la population, « on ne peut pas encore savoir si les joueurs, de gaming comme de gambling, sont devenus des joueurs pathologiques », insiste aussi Olivier Cottencin, Professeur de psychiatrie et d’addictologie au CHRU de Lille.
De nouvelles consommations festives
En revanche, concernant les nouvelles consommations de substances, les tendances se dessinent plus clairement.
En particulier, un engouement croissant et inédit pour le protoxyde d’azote est enregistré surtout en environnement festif parmi les plus jeunes. Si bien que le gaz ne serait déjà plus utilisé en capsules mais par bonbonnes, et des consommations régulières avec pharmacodépendance auraient été repérées. La hausse du nombre cas de détournements de ce produit et d’accidents est telle que l’Anses a alerté à plusieurs reprises en 2021 quant aux risques d’intoxication - asphyxie, troubles du rythme, désorientation, vertiges et autres symptômes centraux.
De plus, le Pr Cottencin déplore une utilisation croissante de drogues de synthèse. « En particulier, les cathinones, [psychostimulants proches des amphétamines ndlr], semblent de plus en plus courantes en milieu festif. » Un constat partagé par le Dr Phan, qui observe dans sa patientèle d’adolescents une part non négligeable d’utilisateurs de la 3-méthylmethcathinone (3-MMC). À noter que le pédopsychiatre relève, chez les adolescents les plus « fragiles », y compris chez les filles, un développement du chemsex.
De plus en plus de mésusages d'opiacés
Les produits plus "classiques" – plus anciens, dont des mésusages sont plus fréquents ou documentés depuis plus longtemps – ne sont pas en reste, et continuent aussi d’évoluer.
C’est le cas du cannabis, dont les résines continuent de voir leur teneur en THC « doubler tous les 10 ans », signale Jean-Pierre Goullé, professeur de biochimie (Rouen) et membre de l’Académie de Pharmacie. De même, les cannabinoïdes de synthèse poursuivent leur diffusion avec, fin 2020, près de 209 substances recensées. Une augmentation « de l’adultération de cannabis » avec des molécules de ce type est également rapportée, notamment en Autriche, en France, en Allemagne et aux Pays Bas, par l’Office des nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC).
Plus généralement, la pureté de nombreux produits tels que la cocaïne aurait baissé depuis le début de la pandémie. « Les risques sont alors surtout sanitaires », note le Pr Cottencin, qui souligne un risque accru d’overdoses.
Plus inquiétant, certains phénomènes venus des États-Unis, qui épargnaient jusqu’à maintenant la France, semblent arriver dans l’Hexagone. « Dans notre patientèle d'adolescents, on voit apparaître des consommations d’opiacés comme le tramadol ou l’oxycodone », s’alarme le Dr Phan. De même, le Pr Cottencin qualifie l’augmentation des utilisations de ce genre de produits de « considérable ».
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