Plusieurs études le montrent : il faut en moyenne sept à dix ans pour diagnostiquer un trouble bipolaire et environ 40 % des troubles bipolaires sont initialement diagnostiqués unipolaires. Plus de la moitié des personnes souffrant de trouble bipolaire présentent d’ailleurs un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs (épisode index) avant la survenue d’un épisode maniaque ou hypomaniaque : 40 à 60 % des patients présentant des troubles bipolaires de type 1 et jusqu’à 70 à 90 % pour les troubles bipolaires de type 2.
« Ce retard diagnostique important a pour conséquence une prise en charge inadéquate : 20 à 30 % des troubles bipolaires sont traités par antidépresseur seul, ce qui entraîne un risque d’induction de virages maniaques ou d’accélération des cycles ou d’inefficacité » a souligné la Dr Emilie Olié (CHU de Montpellier).
Face à un épisode dépressif, il est donc important de rechercher les signes cliniques en faveur d’une bipolarité. Les symptômes n’étant pas spécifiques, on peut se baser sur un faisceau d’arguments : antécédents familiaux de trouble bipolaire, antécédents personnels d’épisodes dépressifs et d’addiction, début de la maladie précoce (avant l’âge de 20 ans), résistance aux antidépresseurs…
Il existe également des échelles établies à partir de questionnaires qui permettent de rechercher des signes maniaques ou hypomaniaques dans le passé du patient : le Mood Disorder Questionnaire (MDQ), qui présente une sensibilité entre 73-76 % et une spécificité de 86-90 %, ou la check-list d’hypomanie de Angst (CLH-32), dont la sensibilité varie de 48-66 % et la spécificité de 59-71 %.
À la recherche de biomarqueurs sanguins
« La recherche se poursuit afin de trouver un test diagnostique valide, c’est-à-dire avec de bonnes performances, des résultats stables, simple, rapide, non invasif et de coût abordable en clinique », a expliqué la Dr Olié. Ces biomarqueurs objectifs viendraient compléter le diagnostic clinique et faciliter le diagnostic différentiel.
« La recherche se poursuit afin de trouver un test diagnostique valide
Dr Emilie Olié (CHU de Montpellier)
De nombreux travaux sont en cours. On peut citer, par exemple, le projet Calypso (Clinique et analyses psychiatriques objectives) de l’université de Lille, qui s’appuie sur les technologies d’intelligence artificielle. Une étude (Martinuzzi et al, 2021) a par ailleurs identifié deux cytokines (IL-10 et IL-15) pro-inflammatoires dont le niveau plasmatique pourrait aider à distinguer un trouble bipolaire d’un trouble dépressif majeur. Une autre étude, plus récente (Salvetat et al, 2024) valide un panel de biomarqueurs sanguins liés à l’édition d’ARN ainsi qu’un algorithme pour distinguer les patients atteints de trouble dépressif majeur des patients bipolaires déprimés. Ce test doit être utilisé en conjonction avec un entretien et une évaluation clinique approfondie.
Mieux cerner les patients à risques d’évolution
Il est par ailleurs essentiel d’identifier plus tôt les patients les plus à risque de développer des troubles plus sévères afin de pouvoir renforcer les traitements.
Une étude observationnelle australienne (Lorfino et al, 2019) portant sur 2 254 personnes âgées de 12 à 25 ans ayant reçu des soins de santé mentale en urgence a permis d’identifier des facteurs associés au risque de transition vers un stade plus avancé. Les principaux facteurs pour un passage (36,9 % des patients) du stade 1a (symptômes non spécifiques) au stade 1b (syndrome clinique atténué) étaient un âge plus avancé, un fonctionnement social réduit, une absence de formation/travail, l’automutilation…Pour le passage du stade 1b au stade 2 (12,8 %), on retrouve un âge plus avancé mais aussi les perturbations des rythmes circadiens, la prise de médicaments psychiatriques, des troubles psychiatriques dans l’enfance… « Cette question de stratification clinique transdiagnostique constitue un véritable défi qui permettrait de déterminer les interventions thérapeutiques optimales pour des troubles émergents », a souligné le Dr Ludovic Samalin (Clermont-Ferrand).
La piste dopaminergique
De nouvelles stratégies thérapeutiques sont également à l’étude. Dans la dépression bipolaire, il apparaît intéressant de renforcer l’action dopaminergique. Le pramipexole (agoniste dopaminergique D3 ayant une AMM dans la maladie de Parkinson et le syndrome des jambes sans repos) a montré une efficacité sur l’anhédonie et le syndrome dépressif chez les patients parkinsoniens. « Cette molécule semble la plus prometteuse. Elle peut être utilisée en 2-3 prises par jour ou en une prise le soir pour la forme à libération prolongée. Les principaux effets indésirables sont les nausées et, à fortes doses, des troubles du contrôle des impulsions, un accès de somnolence… De nombreuses études sont en cours pour préciser sa place dans la dépression bipolaire dans les situations de résistance aux premières lignes. Il y aurait peu de virage maniaque lorsqu’il est utilisé en association avec les thymorégulateurs », a précisé le Dr Jérôme Holtzmann (Grenoble). Il faut en revanche éviter l’association avec les antipsychotiques.
Neuromodulation et chronothérapie
Du côté des approches non médicamenteuses, plusieurs techniques de neuromodulation sont à l’étude. « Aujourd’hui, la neuromodulation doit faire partie intégrante des solutions thérapeutiques à proposer aux patients dépressifs », a déclaré la Dr Anne Sauvaget (CHU de Nantes). « L’objectif est d’obtenir la stabilité thymique. »
L’électroconvulsivothérapie (ECT) est utilisée depuis longtemps en psychiatrie. Elle est efficace en cas d’urgence vitale (risque suicidaire élevé). Elle possède des propriétés anti-dépressives et thymorégulatrices et est intéressante en cure ou en consolidation et maintenance. La stimulation transcrânienne à courant continu (tDCS) semble prometteuse : 14 études cliniques sur 207 patients souffrant de dépression bipolaire ont montré une réduction des scores de dépression variable allant de 18 % à 92 %. Les effets indésirables sont légers et transitoires. La stimulation magnétique transcrânienne répétée (rTMS) et la stimulation thêta-burst intermittente (iTBS) sont également efficaces en deuxième ligne, associées à un traitement médicamenteux.
Enfin, concernant la chronothérapie, « la luminothérapie (LT) et la privation de sommeil ont montré le niveau de preuve le plus solide pour le traitement aigu des dépressions bipolaires » a expliqué la Dr Julia Maruani (CHU Bichat, AP-HP). Cependant, « il existe une grande hétérogénéité de phénotypes dans la dépression bipolaire et tout l’enjeu est de pouvoir évaluer l’efficacité des chronothérapies en fonction de ces sous-types ». La LT peut être utilisée en monothérapie de première intention ou en association avec un antidépresseur. La privation de sommeil (totale, partielle) en monothérapie a montré un taux de réponse de 45 à 50 % dans la dépression bipolaire, mais il y a 80 % de rechute à la reprise du sommeil. Il faut donc la combiner à des stratégies de prévention des rechutes (privation de sommeil + lithium par exemple).
D’après la session « Les dépressions bipolaires »
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