Cancer de la prostate : la technique Hifu assoit son intérêt

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Publié le 18/12/2024
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Les ultrasons focalisés à haute intensité (Hifu) ont démontré leur intérêt comme alternative à la chirurgie dans le cancer de la prostate localisé. Les fonctions urinaires et sexuelles sont mieux conservées qu’avec la prostatectomie radicale.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Troisième cause de mortalité par cancer chez l’homme, le cancer de la prostate est réputé pour son évolution lente… « jusqu’au moment ou il s’accélère », souligne le Pr Pascal Rischmann, chirurgien urologue et ancien président de l’Association française d’urologie et de l’Académie nationale de chirurgie, à l’occasion d’un point presse. Les interventions médicales sont limitées à deux extrêmes pour des cancers localisés : la surveillance active et les thérapies radicales (prostatectomie radicale, radiothérapie, curiethérapie). Si elles ont tout leur intérêt, reste un besoin de désescalade thérapeutique dans ce cancer pour éviter le surtraitement à des stades intermédiaires.

C’est là qu’intervient une technologie, peu récente mais toujours expérimentale : les ultrasons focalisés de haute intensité (Hifu). Cette alternative s’insère entre les deux options pour des cancers à risque faible ou intermédiaire. Elle permet de sauvegarder l’organe et de préserver les tissus sains en faisant un traitement focal. L’onde ultrasonore traverse les tissus sains sans agression puis va converger sur l’endroit cible, le faisant chauffer de manière similaire à un laser. La nécrose de coagulation qui en découle détruit les tissus, dont le tissu cancéreux.

Une meilleure continence urinaire

En 2014, la Haute Autorité de santé autorise de manière dérogatoire la technique pour une étude clinique française, l’essai Hifi, visant à valider la technique par Hifu dans le cancer de la prostate. Quelque dix ans plus tard, la preuve de son efficacité est formelle : le traitement ultrasonore d’une tumeur prostatique améliore la survie sans traitement et préserve les fonctions urinaires et sexuelles, l’une des inquiétudes principales des patients. « Nous sommes pleinement sortis de la phase expérimentale, la technique est validée », se réjouit le Pr Rischmann, investigateur principal de l’essai.

Les résultats de l’étude sont publiés dans la revue European Urology. Mené entre 2015 et 2019 auprès de 3 300 patients ayant un cancer de la prostate à risque faible ou intermédiaire dans 46 centres, l’essai clinique démontre la non-infériorité de la Hifu totale ou partielle sur le taux de survie sans traitement de rattrapage à 30 mois : 90 % contre 86 % en prostatectomie radicale (Hazard Ratio = 0,71).

Nous sommes pleinement sortis de la phase expérimentale

Pr Pascal Rischmann, investigateur principal de l’essai Hifi

Le score de mesure de la continence urinaire stricte (pas de fuite versus au moins une fuite par jour) était significativement moins dégradé pour le groupe interventionnel (29 %) que pour le bras témoin (44 %) (risque relatif = 0,66). Du côté de la fonction érectile, sa perte était moindre sous Hifu.

Une thérapie non ionisante en session unique

La thérapie mini invasive est personnalisable selon les sextants concernés et le volume tumoral. L’autorisation délivrée par la HAS imposait de traiter au moins 70 % de la prostate pour assurer la sécurité des patients dans cet essai clinique expérimental. Mais à terme, le but est de traiter la plus petite zone possible (avec les marges de sécurité d’1 cm) pour réduire les effets secondaires.

Les ultrasons ne prennent qu’une séance, d’environ une heure (variable en fonction du volume traité) quand la radiothérapie nécessite 30 à 40 sessions. « Il est possible de traiter trois à quatre patients en une seule journée », commente le Pr Rischmann. Dans 10 % des cas, les patients ont besoin d’un traitement de rattrapage, notamment la radiothérapie indiquée au-delà de 70 ans. L’intérêt de la thérapie initiale par Hifu est la baisse de toxicité par rapport à une radiothérapie initiale lorsqu’il faut un traitement de rattrapage (exposition du patient après le traitement de rattrapage : respectivement 74 Gray contre 78 à 93 Gy).

Une culture à acquérir

« L’Académie salue des résultats qui montrent que les chirurgiens urologues ne se contentent pas de manier le bistouri », transmet le Dr Hubert Johanet, secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de chirurgie. Il applaudit « l’aboutissement de la validation d’un très long travail, commencé en 2010 ». Le chirurgien viscéral qualifie l’étude d’un « grand succès » mais se désole qu’il faille quatorze ans de processus d’évaluation, un temps trop long par rapport à la vitesse des progrès médicaux. « Nous devons réfléchir à des manières de faire progresser plus rapidement les innovations majeures », tout en garantissant la sécurité des patients.

Pour développer les Hifu dans la pratique opératoire, « ce n’est pas une question de formation : c’est une culture », défend le Pr Rischmann. Pour lui, cette culture repose sur trois piliers : la bonne sélection des patients ; la qualité du traitement effectué par le chirurgien et le suivi patient qui est un peu plus à risque de voir apparaître un autre cancer sur une zone prostatique non traitée (20 %) et pourrait nécessiter une seconde séance. « À raison de 1 500 urologues sur le territoire, le recours à la technique va se diffuser très vite ».

Le chirurgien urologue insiste aussi sur le rôle du généraliste. Il relève que la pratique du toucher rectal décline malgré son importance dans le dépistage. Il alerte aussi sur le niveau d’information des médecins quant aux évolutions techniques : « Ils n’ont pas encore réalisé l’importance de l’apport de la technique par Hifu. Il faut qu’ils aient des informations claires, et que la connaissance de la technique ne repose pas sur des bruits de couloir. Les généralistes sont en première ligne, ce sont eux que les malades viennent voir, avec leurs questions et inquiétudes ».


Source : lequotidiendumedecin.fr